Natif d’Argentine, mais installé depuis une dizaine d’années à Barcelone, Andrés Muschietti a fait ses gammes dans la publicité en compagnie de sa sœur, la productrice Barbara Muschietti. Repéré par Juan Carlos Fresnadillo -le réalisateur de 28 semaines plus tard qui tente alors de produire son premier film- Muschietti tombe finalement sous la coupe du fameux Guillermo del Toro qui parraine son entrée fracassante dans le long métrage avec Mama, conte fantastique flippant avec la géniale Jessica Chastain en mère adoptive de deux enfants bizarres. Une petite mise en garde néanmoins : l’entretien comporte de légères révélations sur l’intrigue du film.Lorsque vous aviez réalisé le court-métrage Mamá en 2008, pensiez-vous déjà en tirer un film ?Non, pas du tout. Mamá était un pur exercice de style qui devait nous servir à financer un autre projet dont j’avais déjà écrit le scénario : The Yearning. Il s’agissait également d’une histoire de fantômes, dont l’ambiance se rapprochait de celle de Mamá. Mais nous avons rapidement compris que les gens étaient plus interpellés par les questions soulevées par le court-métrage que par The Yearning. Il était donc logique d’essayer de capitaliser sur cet intérêt.Avez-vous fait des recherches sur les enfants sauvages lors de l’écriture du scénario ?Oui, et nous avons découvert des histoires absolument fascinantes : des enfants qui avaient été élevés par des chiens, des singes… Nous avons été plus spécialement marqués par l’histoire de Genie, une petite Californienne qui, dans les années 1960, a été séquestrée treize ans durant par ses propres parents ! C’est sans doute l’histoire la plus bouleversante de toutes celles que l’on a lues. Certaines de nos recherches ont été incorporées dans le scénario, mais au bout d’un moment, il a fallu que l’on parvienne à se détacher de toutes ces influences pour créer notre propre monde. Pour dire les choses autrement : nous n’avons pas réussi à trouver d’histoires vraies d’enfants élevés par des fantômes (rires).Pourquoi ne pas avoir montré la mère biologique des fillettes ?En fait, nous la montrions dans le premier montage. Lors de l’introduction du film, la petite Victoria marchait dans le salon et, à la faveur d’un travelling avant, nous pouvions voir à travers une porte entrouverte le corps de sa mère gisant sur le sol. À cet instant, le père surgissait dans le champ en hurlant à l’encontre de Victoria qui détournait aussitôt les yeux. La scène était efficace, mais elle créait une attente déplacée : soudain le public voulait en savoir plus sur ce personnage de mère biologique. Or, pour que l’on parvienne à s’intéresser, puis à s’attacher à Mama, il fallait minimiser au maximum l’importance de la véritable mère des fillettes. Nous avons donc coupé cette scène.Je crois que vous avez donné des références picturales précises à l’équipe qui a construit le monstre.Le visage de Mama est en effet directement inspiré des œuvres d’Amadeo Modigliani. J’ai toujours trouvé que ses portraits étaient profondément dérangeants, en particulier ceux de femmes. Les yeux sont vides, minuscules, asymétriques et d’un bleu glacial, tandis que les visages sont allongés, tordus et avec un long cou difforme… Quand j’étais enfant, il y avait un portrait de Modigliani qui était accroché à un mur de notre maison. J’en avais une peur bleue ! Je n’arrivais pas à comprendre que l’on puisse trouver belle cette épouvantable peinture. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris que la beauté et l’horreur peuvent cohabiter.Pourquoi aimez-vous autant les plans-séquences ?C’est un outil narratif formidable pour créer de la tension : l’action en temps réel et l’absence de montage favorisent l’identification du spectateur envers la victime. Que rêver de plus ?Quel fut le plan-séquence le plus difficile à concevoir ?Définitivement celui de la poursuite dans la maison qui est, en quelque sorte, le remake du court-métrage. Déjà, il faut savoir que le premier étage de la maison était un décor en studio, tandis que le rez-de-chaussée était celui d’une vraie maison. Nous devions donc fusionner deux plans pour donner l’impression qu’il s’agissait d’un seul et même lieu. Il a fallu beaucoup travailler le timing et le style du mouvement de caméra pour que les deux prises puissent être raccordées de façon imperceptible. Ensuite, ce plan suivait des personnages qui montaient et descendaient des escaliers en courant, ce qui est toujours délicat à filmer pour le malheureux opérateur Steadicam. Nous n’aurions jamais pu tourner ce plan sans le formidable Angelo Colavecchia (opérateur caméra de Mama, mais aussi de Pacific Rim de Guillermo del Toro - NDLR).Vous avez choisi un traitement graphique très marqué pour la séquence du flashback.Je ne suis pas totalement satisfait de cette scène, je n’avais pas assez d’argent pour faire ce que je voulais. Initialement, j’avais imaginé que l’image deviendrait une entité vivante lors de cette séquence. Des veines, des cheveux, des ecchymoses auraient envahi le cadre, du sang aurait jailli des murs, et le corps des nonnes se serait progressivement décomposé à chacun de leur mouvement. Faute de pouvoir obtenir l’effet recherché, nous avons ajouté ces craquelures sur l’image et nous avons désaturé les couleurs. Si bien qu’au final, ce flashback ressemble plus à une ivresse lysergique.Mama a été un succès surprise aux États-Unis, et on a lu plusieurs annonces contradictoires sur une suite potentielle. Quelle est votre version ?Je pense qu’il y a de très grandes chances pour qu’Universal lance le tournage d’une suite. Je pense également qu’il y a un bon potentiel pour une nouvelle histoire, si l’on remonte dans le temps et que l’on raconte l’histoire de cette famille qui vivait en Suisse dans les années 60. Il s’agit d’un jeune couple avec un bébé de deux mois. Un jour, le bébé disparaît… Je vous laisse imaginer la suite.Pour l’instant, vous travaillez sur une adaptation du roman Bird Box, une histoire d’horreur post apocalyptique que l’on a décrite comme un croisement entre Les Fils de l’homme et Les Autres.C’est une histoire fascinante et très ambitieuse. Elle me soumet à d’enthousiasmants dilemmes sur le point de vue que je dois adopter en tant que conteur. C’est un vrai exercice de narrateur mais aussi un sacré défi en terme de suspense. Ceci étant dit, au jour d’aujourd’hui,Bird Boxest encore un livre, pas un scénario, donc il est probable qu’il faille attendre encore quelque temps avant que le film ne voie le jour.Pour finir, pourriez-vous nous dire ce que pense votre propre mère de Mama ?Elle adore, évidemment !Propos recueillis par Julien DupuySpecial thanks to Barbara « Barbie » MuschiettiBande-annonce de Mama, en salles françaises demain :
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