Ce n’est pas une nouveauté mais c’est tout de même suffisamment rare et récent pour être souligné et salué : le théâtre élargit ses points de contact avec le public en venant étaler ses atours sur les écrans de cinéma. Il y a eu évidemment le phénomène Foresti, dont le dernier spectacle Foresti Party a bénéficié, grâce à sa retransmission en direct dans 250 salles obscures françaises, d’un public élargi à 82.000 spectateurs. Un record d’audience jusqu’ici jamais égalé. Mais on est là dans le registre du 100 % comique, un show d’humour grand public avec star au capital sympathie colossal en haut de l’affiche. Rien d’étonnant vraiment à ce que l’évènement déplace les foules. En revanche, l’expérience a également été tentée du côté de disciplines moins largement fédératrices, comme l’opéra et la danse. Après le Ballet Preljocaj et sa version filmée de Blanche-Neige, après l’énorme succès de La Traviata (opéra de Verdi diffusé en direct du Metropolitan Opera de New York) avec la célèbre soprano Natalie Dessay dans le rôle mythique de Violetta, Pathé Live a initié une saison 2012-2013 misant sur un programme qualitatif d’une haute exigence artistique et d’envergure internationale, poursuivant une collaboration privilégiée avec le Metropolitan Opera de New York, le Ballet du Bolchoï et le Nederlands Dans Theater et s’imposant ainsi comme un véritable pionnier et leader en matière de diffusion de spectacles vivants en salles de cinéma.Avec la diffusion de Lucide, Pathé Live se tourne du côté du théâtre et permet à un metteur en scène aguerri et tout jeune réalisateur, comédien à ses heures, de faire ses premiers pas au cinéma derrière la caméra. Ayant en effet filmé sa propre mise en scène, Marcial di Fonzo Bo ne compte pas s’arrêter là niveau cinéma. Il prépare actuellement un long métrage intitulé 1976 sur Copi, un auteur dont il a beaucoup fréquenté les œuvres. Le tournage est prévu pour Noël prochain et réunira un casting magnifique : Marina Foïs, Maïwenn, Lambert Wilson, Clément Sibony et Pierre Maillet.D’ailleurs, dans Lucide, il y a du Copi dans l’air. Malgré son titre carré, clair et direct, définitif et sans appel, on ne peut pas dire que Lucide suscite chez le spectateur une sensation de clairvoyance et de perspicacité. Au contraire. C’est une pièce à l’intrigue déroutante, riche en rebondissements incongrus et virages saugrenus. Ecrite par l’auteur argentin contemporain Rafael Spregelburd auquel on doit une impressionnante Heptalogie de Jérôme Bosch, à savoir une série de sept pièces sur le thème des sept péchés capitaux, Lucide se plait à nous perdre dans un labyrinthe familial et mental, un univers loin de tout réalisme, farfelu et déjanté à souhait dans lequel on se glisse avec délectation. De même qu’il s’était emparé avec un enthousiasme communicatif de La Estupidez, La Paranoia, La Panique et L’Entêtement, quatre des pièces de l’Heptalogie, le comédien et metteur en scène argentin Marcial di Fonzo Bo s’est saisi de cette comédie débridée avec brio. Grand amateur d’univers absurdes et loufoques, expert en dynamitage d’habitudes confortables, attiré par les histoires borderline aimant se jouer de nos névroses avec humour et gaieté, dynamitant les frontières, qu’elles soient de genre (sexuelles), de pays ou de catégorie dramatique (souvent à cheval sur la comédie et le drame), il orchestre et accorde quatre comédiens virtuoses (Karin Viard, Léa Drucker, Micha Lescot et Philippe Vieux forment une distribution inénarrable) à un décor seventies ultra stylisé sur fond d’histoire tortueuse et tordue, drôlissime et dérangeante où pas un des personnages ne semble sain d’esprit et équilibré. Bienvenu au royaume d’une famille frappadingue, où le fils, suivi sous thérapie Gestalt, s’essaie à des rêves lucides qui rejoignent étrangement la réalité jusqu’à s’y confondre. Face à ses turbulences du réel, ses incursions oniriques mais conscientes, le spectateur ne sait plus sur quel pied danser mais une chose est sûre, c’est qu’il y prend son pied. Car Lucide dynamite le théâtre psychologique plan-plan, les codes de la comédie pantouflarde pour nous inviter à laisser tomber nos certitudes, à ne pas nous accrocher à la volonté farouche de tout comprendre, mais à nous laisser aller à cette fantasmagorie trépidante tissée de dialogues croustillants.Ce genre de théâtre est bon pour la santé et vous pouvez y succomber en salle de ciné au mois d'avril en journée (14h) ou en soirée (20h) deux lundi d'affilée (les 8 et 15). Par Marie Plantin
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Lucide, la pièce : Séances de rattrapage en avril au cinéma
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