Il s'est tenu à la charnière de la fiction réaliste et du film d'enseignement, deux formes d'expression apparemment antithétiques et qu'il maîtrisa d'un même élan. Qu'il s'agisse en effet de « cinéma spectacle » ou de télévision, de narration documentée ou de reportage vécu, la préoccupation de Rossellini fut toujours la même : refuser la virtuosité, les rebondissements factices et le raffinement de la forme, au profit de ce qu'il appelait « l'innocence et l'intelligence du regard ». Aux séductions de la culture ornementale, opposer les données arides mais durables de la connaissance véritable. Vocation de philosophe, voire de missionnaire, plus encore que de cinéaste.Ni les documentaires qu'il tourne à ses débuts (Fantaisie sous-marine ou Prélude à l'après-midi d'un faune), ni sa collaboration à un film de guerre supervisé par le propre fils de Mussolini (Luciano Serra, pilota), ni même ses premiers longs métrages (La nave bianca, Un pilota ritorna, L'uomo dalla croce), ouvrages de commande où la propagande fasciste est enrobée de pacifisme ambigu, ne laissaient prévoir l'explosion de Rome ville ouverte (1945) et de Paisà (1946), films phares du néoréalisme, déchirants témoignages sur la souffrance, la mort et la survie d'un peuple humilié, messages d'espoir et de fraternité exprimés en une forme étonnamment pure, aussi éloignée du calligraphisme que de l'emphase mélodramatique, deux tentations du cinéma italien qu'il repoussera toujours. Alors que Visconti se laisse déjà aller à des fioritures d'esthète, et De Sica au misérabilisme, Rossellini s'en tient ici à la sécheresse du constat, à une vision à la fois ponctuelle et unanimiste, qui frappe d'autant plus fort. Avec des moyens de fortune, des interprètes non professionnels mêlés à des acteurs chevronnés (Aldo Fabrizi, Anna Magnani, Maria Michi), réduits eux-mêmes à un quasi-anonymat, et surtout grâce à un immense amour de la terre italienne, terre de douleur, mais aussi terre de miracles, il se hausse d'un coup au premier rang des cinéastes de sa génération. À partir de là, pourtant, l'équivoque s'installe. On veut l'enfermer dans le ghetto du néoréalisme, où il n'est entré, en somme, que par hasard, sans nul souci de poser au chef d'école. Après un détour par l'Allemagne, autre pays déchiré et exsangue, qui lui inspire un poignant lamento sur le suicide d'un enfant (Allemagne, année zéro), il va puiser son inspiration dans le spiritualisme chrétien (le Miracle, Onze Fioretti de François d'Assise), la commedia dell'arte (La macchina ammazzacattivi), la fable satirique (Où est la liberté ?, avec Totò). La rencontre avec Ingrid Bergman aggrave le malentendu : les films qu'il entreprend à ce moment-là sont des radiographies d'un couple moderne, des pages de journal intime, où l'anecdote est réduite à sa plus simple et plus exigeante expression. De Stromboli (qui coïncide avec la grossesse de sa compagne) à la Peur (prélude à leur séparation), en passant par Voyage en Italie (compte rendu minutieux de leur vie commune), c'est presque à une autobiographie qu'il nous convie, en y maintenant son quotient paradoxal d'universalité (Europe 51). Sur ce chemin-là, il ne sera suivi que par une poignée de fidèles, appartenant à la jeune critique française (Rivette, Rohmer, Truffaut). Puis c'est une nouvelle période de tâtonnements, marquée par un voyage en Inde (India, 1959), un retour éphémère aux schémas du néoréalisme (le Général Della Rovere, Viva l'Italia) et une incursion, inattendue et superbe, dans la chronique historique (Vanina Vanini, d'après Stendhal). L'échec total de Anima nera, un film qui annonce pourtant un renouveau de la comédie italienne, l'incite à abandonner complètement le cinéma (devenu, dit-il, « un ballet de spectres ») et à choisir un nouveau mode d'expression : la télévision. Dès lors, il va se faire l'humble rapporteur des faits et gestes du passé, des grands événements et des grandes figures qui ont changé le cours de l'histoire, de l'homme appréhendé no