Alors que ce film culte, sorte d’Affranchis dans les favelas de Rio, ressort en copies neuves, rencontre lyonnaise avec son metteur en scène.
En 2003 les portes d’un univers inconnu se sont soudain ouvertes sur les écrans du monde entier. La Cité de Dieu d’un certain Fernando Meirelles propose une plongée en apnée dans les favelas de Rio avec ses gueules, ses trafics, son langage fleuri, ses ruelles, son électricité...
Présentées en Séance de Minuit au Festival de Cannes en mai de l’année précédente, les aventures de Tignasse, Petit Zé, Fusée ou encore Manu Tombeur, emballent des festivaliers prêts à s’encanailler par procuration. Ça fuse de partout, la caméra ne tient pas en place, les intrigues s’emboîtent quitte à s’entredévorer... On est plus proche de Tueurs nés que des Affranchis, référence pourtant assumée qui suinte par tous les pores d’une voix-off immersive.
Décembre 2024. La Cité de Dieu est encore là. Solide sur ses appuis. Elle a engendré des petits via des déclinaisons plus ou moins officielles, mais la matrice n’a pas été égalée. Elle réapparait en copies restaurées. Quant à son auteur, Fernando Meirelles, même s’il a réalisé d’autres films : The Constant Gardener (2005) ou Blindness (2008), tout le ramène inévitablement à la favela.
En octobre dernier, le brésilien de 69 ans était invité au Festival Lumière de Lyon pour y présenter la restauration en vue de sa ressortie à l’échelle nationale. Le tout dans un français approximatif mais chantant. Il a ainsi re-déroulé le fil des évènements...
Votre français est (presque) parfait....
Fernando Meirelles : J’ai habité un an à Paris à l’âge de 20 ans pour y étudier l’océanographie... J’étais fan du Commandant Cousteau. Je me suis vite rendu compte que ce qui me plaisait chez lui, c’était ses films ! Je suis retourné au Brésil étudier l’architecture avant de finalement de faire du cinéma.
Que connaissiez du monde des favelas avant l’écriture de La Cité de Dieu ?
A vrai dire pas grand-chose. A Sao Paulo d’où je viens, il y en a aussi bien sûr mais pas aussi violentes que celles de Rio. Je suis issu d’un milieu favorisé, mon père était docteur...Pour moi ce monde n’existait qu’à travers les reportages télés qui cherchaient avant tout à rendre ces endroits spectaculaires par leur dimension criminelle... C’est la lecture du livre de Paulo Lins (paru en 1997) qui a tout changé. C’était une auscultation très fouillée des codes qui régissent la favela. J’étais suffisamment happé pour en acheter les droits d’adaptation. L’idée était donc de pénétrer à l’intérieur la favela, d’y rester, d’en respirer l’air...
Qu’est-il resté du livre dont la singularité était la profusion des personnages ?
Paulo Lins est né dans ce qu’il appelle La Cité de Dieu. Toutes les histoires qu’il raconte ne sont pas des inventions. La part documentaire est très grande. A la base son récit était centré sur sa propre expérience mais durant l’écriture, les gens de la favela venaient le trouver pour lui raconter leur histoire. Voilà comment le livre est devenu cette mosaïque de micro-récits composée d’une soixantaine de petits chapitres. Le roman possède près de 280 personnages différents. Il a donc fallu recentrer les choses. J’ai tout de même gardé cette idée de multiplicité des personnages qui vont et viennent à tous moments et endroits du cadre.
N'aviez-vous pas peur de trahir ce monde que vous ne connaissez pas intimement, quitte à l’esthétiser ?
Ma volonté était de rester au plus proche du réel, de ne rien glamouriser. Mon garde-fou était le roman et donc la voix du narrateur. C’est Paulo Lins qui nous permet d’entrer dans la favela. Nous ne pouvions pas être plus authentique. Dès le départ, il était clair que nous n’engagerions pas de stars ou des comédiens professionnels mais des gens de la favela. Ce sont eux qui m’ont guidé et dicté la façon de filmer. Nous avons d’abord organisé un important casting avant de procéder à une sorte de workshop. Les répétitions ont permis d’étoffer le scénario. Je laissais les comédiens improviser entre eux. Mon travail était ensuite de retirer ce qui me paraissait superflu.
Le dynamisme du récit est rendu par un montage frénétique...
Il y avait tellement d’histoires. La favela est un foisonnement permanent. Il fallait en rendre compte par la mise en scène. Comment faire tenir en un peu plus de deux heures toute ces récits, ces personnages ? D’où cette impression d’un langage cinématographique ultra-stylisé. Mon expérience dans la publicité m’a appris à aller à l’essentiel...
A ceci près que la publicité sert à vendre un produit...
... Dit comme ça, ça peut paraître vulgaire, mais je voulais que les spectateurs « achètent » ce monde qu’ils ne connaissent pas. Il fallait les séduire. Cela passait par la narration, le côté : « Je vais vous raconter mon histoire... » Ainsi l’immersion est immédiate. Ici tout est affaire de mouvement, d’électricité.
La Cité de Dieu est très marqué par sa référence aux Affranchis...
Le film de Scorsese repose en effet sur la même structure narrative. Un des protagonistes raconte son histoire, ce qu’il a vu et vécu. Les codes des gangsters américains sont un peu les mêmes que dans les favelas. L’autre cinéaste qui m’a influencé est Robert Altman pour sa manière de mettre en scène une multitude de personnages... Ses scénarios ne reposent pas sur une intrigue avec un début et une fin, mais sur une kyrielle de récits qui s’enchainent sans forcément aller vers un but précis. C’est une transposition du souffle de la vie. Enfin, je dois citer Iracema de Jorge Bodansky, un modèle de ce que l’on a appelé le Cinema Nuovo. Le film a été tourné en 1974. Il suit l’itinéraire d’une prostituée et d’un camionneur qui traversent l’Amazonie. Lorsque j’ai vu cette liberté dans la narration, j’ai arrêté mes études d’architecture pour me lancer dans le cinéma.
Qui est Kátia Lund, créditée comme co-réalisatrice de La Cité de Dieu ?
Tout ça est le fruit d’un malentendu. Kátia était l’assistante de Walter Salles sur Central do Brasil. Walter est l’un des producteurs de La Cité de Dieu. Il m’a conseillé de travailler avec Kátia qui avait réalisé avec lui un documentaire sur les favelas de Rio. Elle connaissait donc bien le sujet et avait beaucoup de contacts. Je l’ai engagée pour le casting. Son travail s’est poursuivi sur le tournage en tant que coach pour les interprètes afin de les préparer juste avant les prises. Elle a fait un travail formidable. Au moment de finaliser le film, Kátia m’a demandé si elle pouvait être créditée en qualité de co-réalisatrice, ce qui me semblait un peu incongru. J’ai alors trouvé une astuce pour que le film reste signé de mon seul nom mais que la mise en scène soit en partie co-signée. Malheureusement, la brochure de présentation du Festival de Cannes attribuait par erreur le film à nos deux noms. Dès lors, impossible de faire machine arrière. Kátia a voulu s’attribuer la paternité du film. Un cauchemar !
Le fim est devenu un véritable phénomène : sélection cannoise, nominations aux Oscars, documentaires sur le tournage, déclinaisons en série... Comment ne pas rester prisonnier d’une telle déflagration ?
Il est évident que nous ne nous attendions pas à un tel succès. La Cité de Dieu a littéralement changé ma vie. Dès mon retour du Festival de Cannes, une soixantaine de projets m’attendaient chez mon agent. J’ai fait des centaines interviews, mon nom a circulé un peu partout. Je me souviens très bien des cinq minutes qui ont suivi la projection de presse à Cannes... D’un coup, je sentais une électricité autour de moi. C’était évidemment à double tranchant, je savais que ce cadeau était aussi une malédiction. J’ai fait d’autres longs métrages mais je reste à jamais le réalisateur qui a réalisé La Cité de Dieu.
Vous avez récemment produit une série pour HBO autour de La Cité de Dieu...
Ma société l’a co-produite mais je ne suis pas du tout intervenu dans sa conception.
Votre film a quant à lui, définitivement changé l’image des favelas à travers le monde...
Avant La Cité de Dieu, c’est comme si ce monde n’existait pas. Le succès a logiquement incité les producteurs de cinéma et de télévision à s’y intéresser. Ça devenait commercialement juteux. Pourtant lorsque j’ai proposé mon projet, on me répétait sans cesse : « Arrête Fernando, les gens s’en foutent des favelas ! » Les financements ont été très difficiles à trouver. La Cité de Dieu a été tourné avec un budget relativement modeste. Puis le « favela movie » est devenu un filon, un genre à part entière. La Cité de Dieu a appuyé sur la détente.
Brésil. La Cité de Dieu. De Fernando Meirelles. Avec : Alexandre Rodrigues, Leandro Firmino da Hora, Seu Jorge.... Dist. Wild Bunch. Durée : 2h15 En salles en copies restaurées le 11 décembre et en séances UGC Culte ce jeudi 5 décembre (voir la liste des cinémas participants).
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