Les faits se seraient déroulés en marge du tournage de Je le jure, dont il a bouclé la mise en scène en quarantaine. Un protocole inédit dans le cinéma français.
Peu après la victoire d'Anatomie d'une chute au festival de Cannes 2023, l'un de ses comédiens, Samuel Theis -qui joue la victime dans le drame judiciaire de Justine Triet- a entamé le tournage d'un autre film de procès, mis en scène par lui-même cette fois, intitulé Je le jure. Mais dans la nuit du 30 juin au 1er juillet, le réalisateur aurait abusé d'un membre de l'équipe sous emprise de l'alcool. La production a pris l'affaire très au sérieux et mis en place un protocole inédit pour pouvoir boucler le tournage tout en protégeant l'équipe : le réalisateur a terminé les prises de vue "en quarantaine", à l'écart du plateau principal. Voici les détails livrés par Libération et Télérama, qui ont tous les deux enquêté sur l'affaire.
Remarqué pour ses précédentes réalisations, Party Girl (co-créé avec Marie Amachoukeli et Claire Burger) et Petite nature, Samuel Theis a engagé Louise Bourgoin, Marina Foïs, Micha Lescot, mais aussi plusieurs acteurs amateurs pour son film de procès traitant de la difficulté de rendre justice, dont le scénario a bluffé Avenue B Productions. Caroline Blanchard, qui avait déjà soutenu le précédent film du réalisateur, et qui fait par ailleurs partie du Collectif 50/50, a une nouvelle fois épaulé Samuel Theis sur ce projet, mais quand il a été accusé de viol par un machiniste lors d'une soirée organisée en marge du tournage, elle a pris l'affaire au sérieux avec son équipe de production.
Samuel Theis, Sandra Hüller, Antoine Reinartz, Milo Machado Graner, Justine Triet, Swann Arlaud et Arthur Harari lors du photocall d'Anatomie d'une chute au festival de Cannes 2023.
Un protocole inédit
Le machiniste accuse précisément le réalisateur d'avoir profité de son état d'ébriété pour lui faire subir des actes sexuels non consentis. La scripte du film, qui partageait l'appartement loué par Theis le temps du tournage, aurait été témoin un instant de leur ébat, qu'elle n'a pas pensé qu'il puisse être imposé par l'un ou l'autre. Face à cette accusation, dont Samuel Theis nie fermement le côté "non consenti", le plaignant a décidé de quitter le tournage. Ce qui a posé des questions juridiques : l'accusation de viol concernant une fête organisée en marge du tournage, l'affaire peut-elle être considérée comme un accident du travail ? L'accusateur pouvait-il être rémunéré suite à son départ soudain ?
Face à ces questions, la production a proposé une aide juridique au plaignant, et engagé un enquêteur spécialisé dans le droit des salariés pour qu'il analyse ce cas précis. Le temps des investigations, une décision inédite a été prise pour pouvoir poursuivre les prises de vue tout en protégeant les autres membres de l'équipe. A partir du 10 juillet et pour une quinzaine de jours de prises de vue, Samuel Theis a été mis à l'écart, confiné dans une pièce en dehors des plateaux. Il pouvait donner ses instructions par talkie-walkie à ses assistants tout en supervisant les prises de vue via un moniteur vidéo. Les employés -acteurs ou membres de l'équipe technique- qui souhaitaient communiquer avec lui directement pouvaient lui rendre visite, mais lui avait interdiction de venir sur le plateau principal.
Cette démarche aurait été saluée par la plupart des employés du film, bien que contraignante. "Il fallait essayer d’imaginer une solution qui permette que ce film aille au bout quelle que soit l’issue judiciaire de cette affaire, explique ainsi anonymement l'un des comédiens de Je le jure à Libération. On a cherché le plus petit dénominateur commun qui préserve chacun et n’entame ni la présomption d’innocence ni la possibilité de la culpabilité : un safe space a été aménagé."
Avenue B productions justifie la mise en place de ce protocole inédit par la temporalité spécifique d'un tournage de film : "Sur un tournage, on a loué telle salle pour tel décor tel jour, un acteur est disponible à tel moment : vous ne pouvez pas vous permettre d’interrompre le tournage ni d’attendre les conclusions de l’expert pour agir. Elles arriveront bien après le clap de fin. Et pourtant, en tant qu’employeur, vous êtes dans l’obligation légale de protéger tout le monde, dans un temps extrêmement restreint, avec des moyens à votre disposition assez faibles, et sans aucune certitude sur la culpabilité du mis en cause."
Petite nature : un survival prenant et sensible à hauteur d'enfant [critique]Et maintenant ?
Je le jure est actuellement en post-production, et l'enquête suit son cours, puisqu'une plainte a été déposée, précise Télérama. Le film n'a pas de date de diffusion. Pourra-t-il sortir au cinéma ? Ad Vitam avait déjà signé pour le distribuer, avant que le scandale n'éclate. Cette affaire pourrait-elle empêcher Samuel Theis de le terminer ? Auprès du même magazine culturel, le machiniste qui met en cause le réalisateur explique avoir déjà souffert de la sortie très médiatisée d'Anatomie d'une chute, en août dernier, mais il ne remet pas pour autant en cause les qualités artistiques de Je le jure : "Cela a été un peu dur à vivre. Les affiches partout, les potes qui en parlent… Dans l’idéal, je voudrais que le film sorte, mais sans le nom de Samuel Theis au générique."
Ce week-end, en recevant deux Golden Globes pour Anatomie d'une chute, Justine Triet a remercié tous ses comédiens, sauf Samuel Theis, dont l'absence a été remarquée.
"And Snoop, thank you for being yourself, just a dog."
— NEON (@neonrated) January 8, 2024
Director Justine Triet gives her acceptance speech after being awarded Best Picture - Non-English Language for ANATOMY OF A FALL at the #GoldenGlobes. pic.twitter.com/h9w0dxrFIw
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