Tatouage et L’Ange rouge de Yasuzō Masumura, décrivent la quête sacrificielle et rédemptrice de deux femmes blessées. Deux œuvres sublimes de 1966 à redécouvrir en salles.
Dans Le dictionnaire des Cinéastes japonais (Carlotta), Stéphane du Mesnildot résume la position de Yasuzō Masumura (1924 – 1986) dans l’histoire du cinéma nippon : « ... Entre le crépuscule des grands cinéastes, Ozu, Naruse et Mizoguchi et la Nouvelle Vague représentée par Oshima et Imamura. »
En découvrant Tatouage et L’ange rouge queThe Jokers Films sort aujourd’hui en salles dans de magnifiques copies restaurées 4K, on est, en effet, soufflé par la façon dont le classicisme apparent (beauté et précision des cadrages) tranche avec une modernité évidente où l’extrême brutalité et un érotisme décomplexé inondent le cadre. Ces deux films de 1966 sont tout à la fois un choc esthétique et dramatique. Un pont entre les rives d'un passé et d'un présent qui se répondent magnifiquement.
Tatouage (1966)
Dans Tatouage, film de geishas en couleurs, la carnation parfaite de l’héroïne devient un écran sur lequel se joue les injustices, les soumissions et les révoltes. Le prologue montre la façon dont un homme ligote puis drogue une jeune femme pour disposer de son corps à sa guise et lui tatouer une silhouette maléfique dans le dos. Un geste condamnant l’infortunée à une vie de prostituée. La jeune endormie gémit à chaque coup du stylet venant scarifier sa peau. Plaisir et souffrance entremêlés. « Contrairement à l’homme qui n’est qu’une ombre, la femme est un être qui existe réellement, c’est un être extrêmement libre – voilà comment je conçois l’érotisme. », expliquait pourtant Yasuzō Masumura.
A l’instar d’un David Cronenberg, le corps brutalisé permet de révéler sa présence au monde, de s’affirmer comme tangible. Dès lors, dans ce Tatouage, la femme bafouée s’incarne dans toute sa force. Promise à l’effacement, elle peut au contraire opérer sa révolte.
C’est le cas d’Otsuya, enlevée, elle-aussi, pour devenir une geisha. Sur son dos à elle, une araignée au visage de femme-vampire et des longues pattes prédatrices. La créature guide la destinée de cette femme vengeresse. Si son amant, falot, subit plus qu’il n’inflige des blessures, Otsuya, elle, dicte sa loi et créait une emprise sur le monde autour d’elle. Film cloisonné et fiévreux, Tatouage, tire sa puissance d’une héroïne transformée en ange de la mort. Otsuya est incarnée par Ayako Wakao, la muse du cinéaste que l’on retrouve dans L’ange rouge.
L’Ange rouge (1966)
La couleur laisse place ici à un puissant noir et blanc. L’action de L’Ange rouge se passe en 1939 durant la guerre sino-japonaise. Comme dans Tatouage, la violence frappe d’emblée une femme, prisonnière de la tyrannie des hommes. La jeune infirmière, Sakura (Wakao) est violée par une groupe soldats nippons dans l’hôpital où elle travaille. Un crime impuni dans un contexte où les hommes, chairs à canon, sont de toute façon promis à une mort certaine. Sakura, blessée, ne se laisse pas abattre et poursuit sa mission autour des corps mutilés et des gémissements.
Elle assiste avec ferveur son médecin chef, accablé par cette tragédie humaine, qui carbure à la morphine pour oublier qu’ici-bas, la notion de plaisir n’existe plus. « Il y a tellement de choses qui j’aimerais oublier... » explique-t-il à Sakura dans un râle. Dès lors, celle-ci se lance dans une quête sacrificielle et plus sûrement passionnelle. Elle va décider de sauver ce mort-vivant et lui permettre de jouir à nouveau. Une manière, à travers cet amant rétif, de réparer tous les autres. Sa vengeance secrète tient dans un apparent asservissement. Sa bonté face à la cruauté ambiante, en devient insolente et donc une arme redoutable.
L'étrangeté et la complexité du cinéma de Masumura résident dans une certaine ambiguïté psychologique. Qui sont au juste ces héroïnes, faussement innocentes, qui au fur et à mesure qu’avance le récit, prennent le contrôle de l’humanité toute entière ? Une chose est sûre, c’est par le féminin que le monde abimé et souillé peut amorcer sa reconstruction.
Tatouage de Yasuzō Masumura (1966). Avec : Ayako Wakao, Akio Hasegawa... et L’Ange rouge de Yasuzō Masumura (1966). Avec : Ayako Wakao, Shinsuke Ashida... Dist. Jokers Films. En salles en copies restaurées 4K à partir du 2 Novembre.
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