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Premier des sept épisodes chargés de conclure Mad Men, Severance nous présente un Don Draper totalement désorienté qui semble confondre les époques, tandis que le destin sentimental de Peggy continue d'attirer l'attention. Critique (avec spoilers) de l'épisode 8 de la saison 7.

Critique de l’épisode 7.08 de la série Mad Men, Severance (spoilers).Après une absence d’un an, Mad Men revient avec un plan d’introduction qui montre le visage d’une jeune femme inconnue. Elle sourit timidement à Don Draper (Jon Hamm) en enfilant un manteau en vison et le spectateur habitué aux jeux de séduction du publicitaire se demande déjà si la séquence prend place dans le grand appartement new-yorkais de Don ou dans une chambre d’hôtel. Puis la voix lancinante de Peggy Lee chantant Is That All There Is ? se fait entendre. Les paroles de ce tube édité à l'automne 1969 décrivent une déception permanente face au manque d’intensité des étapes de vie censées être déterminantes. Le plan s’élargit alors et on découvre que Don se trouvait en réalité en compagnie de ses collègues dans les bureaux de SC&P pour une séance de casting. La candidate doit repartir et cette dernière salve d’épisodes de la série se place d’emblée sous le signe des regrets : oui, l’existence n’offre parfois que des histoires inachevées et trompeuses, comme ces quelques regards entre Don et la jeune femme qui auraient pu déboucher sur un grand moment de sensualité partagée mais ne relevaient que d’une mise en scène face à un parterre d’observateurs insoupçonnés.Don Draper n’est donc pas entièrement seul en ce début de saison, et l’atmosphère qui règne à l’agence s'avère nettement moins hostile qu’à l’époque où Jim Cutler et Lou Avery cherchaient en permanence à évincer le héros de Mad Men. Mais ce calme relatif cache évidemment un malaise qui s’avère croissant au fil de l’épisode. Vivant en célibataire endurci suite à sa séparation avec Megan, Don utilise un service téléphonique qui lui permet de recevoir dès qu’il le désire des femmes chez lui, manière de rappeler le Don dévasté du début de saison 4 qui se remettait également d’un divorce en fréquentant des prostituées. Si la vie privée du personnage constitue un éternel recommencement, l’épisode va plus loin qu’un simple bilan affectif et organise un télescopage de différentes temporalités pour accentuer l'égarement de Don. Le publicitaire est d’abord fasciné par la serveuse d'un dinner (incarnée par Elizabeth Reaser, vue dans Twilight et Young Adult) dont le visage lui paraît familier. Persuadé qu’il a rencontré cette femme par le passé, Don verrait-il là ressurgir un fantôme ? De fait, il va plus tard rêver de Rachel Katz (femme d’affaires qu'il a fréquentée dès le premier épisode de la série avant d’entamer une liaison avec elle), réminiscence qui le trouble encore davantage quand il apprend le lendemain que Rachel est décédée. Ce songe représentait-il une vision prémonitoire ? Les funérailles, qui font entrevoir à Don la vie qu’il aurait pu connaître s’il n’avait pas négligé sa relation avec Rachel, achèvent en tout cas de plonger le personnage dans une vaste confusion temporelle. Diana, la serveuse avec qui Don a entretemps eu une relation sexuelle dans l'arrière-cour du dinner, affirme pour finir que ce choc des temporalités naît probablement d'une proximité momentanée avec la mort.Parallèlement à l’univers lugubre et ombragé où se débat Don, les destins de Joan (Christina Hendricks) et Peggy (Elisabeth Moss) se voient traités avec plus d’énergie et de vitalité. Les deux femmes sont d’abord confrontées une nouvelle fois à un stupéfiant machisme lors d’une réunion avec leurs collègues de McCann (agence au sein de laquelle a été intégrée SC&P) dont elles se trouvent séparées par une table, manière d'illustrer la scission professionnelle qui demeure entre hommes et femmes en ce début d’année 1970. Alors que les trois mâles ne cessent de faire référence aux formes généreuses de Joan, Peggy minimise ensuite dans l’ascenseur la portée de ce sexisme, avant que Joan ne lui fasse remarquer qu’elle est inapte à comprendre les désagréments du harcèlement à cause de son physique peu avenant. Après cette série de piques qui renvoie à de précédentes disputes entre les deux femmes, on retrouve Peggy dans sa quête éperdue d’un amant honorable. Lors d’un dîner arrangé au restaurant, la jeune femme se montre progressivement - et l’alcool aidant - très à son aise avec son prétendant. Formulant l’idée follement romantique de visiter Paris, les deux tourtereaux doivent cependant reporter leur projet car Peggy ne parvient pas à mettre la main sur son passeport. Ironiquement, elle découvre le lendemain que le document était resté dans son bureau, nouvelle preuve du fait que la vie professionnelle de Peggy l’empêche de s’investir pleinement dans une relation sentimentale.

Vertigineuse solitude de la nuit new-yorkaise

Au fil d’un épisode qui multiplie les sous-intrigues, on suit également Ken Cosgrove (Aaron Staton), qui perçoit lors du départ à la retraite de son beau-père (Ray Wise, le mythique Leland Palmer de Twin Peaks) le vide que peut représenter une vie où l’on ne suit pas ses passions. Hanté par les remords, Ken confie à sa compagne qu’il aimerait à nouveau tout plaquer pour se consacrer à ses projets d’écriture, puis découvre que les pontes de McCann ont, par un troublant hasard, décidé de le licencier. L’importance donnée à ce protagoniste peut surprendre alors que Pete Campbell (redevenu de son propre aveu un new-yorkais stressé après sa parenthèse californienne) ou Roger Sterling (qui arbore désormais une superbe moustache) se font moins présents à l’écran. Mais il s’agit avant tout pour le showrunner Matthew Weiner d’affirmer à travers cet arc narratif le poids global des frustrations (lesquelles donnent finalement lieu à un sentiment de revanche quand Ken annonce à Pete et Roger qu’il sera un de leurs futurs clients et qu’ils ont du souci à se faire).Toujours riche en humour et en variations de tonalités, la série Mad Men n’est heureusement pas entrée dans la tragédie absolue avec Severance (titre qui signifie en français « rupture » au sens de « licenciement »). Mais alors qu’il ne reste que 6 épisodes, et que l’apparition de Richard Nixon à la télévision nous signale que l’Histoire américaine continue d’évoluer, la série d’AMC prépare déjà sa sortie en insistant sur l’image d’un Don isolé dans ses névroses et abandonné de celles qui l’ont autrefois aimé (Betty et Megan sont ici absentes). La dernière séquence, où la serveuse Diana conseille à Don de ne plus venir seul au dinner, fait ainsi de nouveau retentir Is That All There Is ? (également utilisée en 1985 par Martin Scorsese dans After Hours, film montrant lui aussi la vertigineuse solitude qui habite la nuit new-yorkaise). C’est la première fois que la série fait entendre le même morceau au début et à la fin d’un épisode; car Don Draper tourne bel et bien en rond et il est temps pour Matthew Weiner d’inviter le spectateur à cette réflexion : et si Mad Men ce n’était que ça, un empilement d'existences rongées par les regrets et guettant un bonheur qui ne montre jamais le bout de son nez ? A moins que la série ne choisisse dans ses ultimes épisodes de freiner les déceptions dont parle la chanson de Peggy Lee et d’envoyer certains personnages vers la lumière.

Damien Leblanc

En France, la 2ème partie de la saison 7 de Mad Men est diffusée sur Canal + Séries à partir du mardi 7 avril (22h15).