Première
par Christophe Narbonne
En 1965, un an après avoir fait voter le Civil Rights Act condamnant toute forme de discrimination, Martin Luther King entame un nouveau bras de fer avec le très récalcitrant président Lyndon B. Johnson pour l’obliger à garantir le droit de vote aux Afro-Américains. Selma, en Alabama, va devenir l’épicentre de cette lutte et le point de départ de grandes marches protestataires. L’académisme, "gros mot" qui définit les films à la direction artistique aboutie et qu’on a tendance à opposer schématiquement à la modernité, est devenu la propriété quasi exclusive du biopic. De "Ray" à "Mandela", en passant par "La Dame de Fer" et "Get on Up", on ne compte plus les portraits officiels – le plus souvent validés, ou mollement contestés par les proches des figures concernées – qui brossent les faits dans le sens du poil et offrent à des acteurs plus ou moins confirmés l’opportunité de briguer un Oscar. "Selma" ne déroge pas à la règle et déroule le tapis rouge à l’intouchable Martin Luther King, le Gandhi noir (dignement incarné par le trapu David Oyewolo), dont les zones d’ombre, comme sa sexualité débridée, sujet tabou aux États-Unis, ne sont ici qu’effleurées. Si l’on regrette que le film ne soit pas réalisé par un metteur en scène directeur d’acteurs plus tordu (Oliver Stone, au hasard), il faut reconnaître à Ava DuVernay une science impeccable du découpage et de la dramaturgie qui se manifeste lors des séquences de marche où la tension entre manifestants et forces de l’ordre atteint son paroxysme. La cinéaste, qui a aussi le sens de l’histoire passée et présente (impossible de ne pas penser aux récentes émeutes de Ferguson), nous rappelle à point nommé que la lutte pour les droits fondamentaux fait inévitablement coïncider traumatisme général, destin(s) individuel(s) et aspirations populaires.