Première
par Chrsitophe Narbonne
C’était la star par défaut du dernier Festival de Cannes. Assigné à résidence dans son pays (comme son homologue russe, Kirill Serebrennikov, lui aussi en compétition sur la Croisette avec Leto), le cinéaste iranien Jafar Panahi a une nouvelle fois étonné, sinon ébloui, les observateurs non pas tant pour la qualité intrinsèque –et réelle- de Trois visages que pour son existence même : rappelons qu’il est interdit de tournage depuis 2010 et que, depuis cette date, il a réalisé quatre longs métrages dont l’acclamé Taxi Téhéran ! Le mystère et la clandestinité qui entourent la fabrication de ses films participent puissamment de leur pouvoir d’attraction d’autant que le réalisateur proscrit s’y met désormais systématiquement en scène, donnant ainsi de ses nouvelles par écrans interposés. Comme d’habitude, donc, Jafar Panahi joue Jafar Panahi mais il n’est plus la seule star à l’image. A ses côtés, Behnaz Jafari joue aussi son propre rôle, celle d’une actrice populaire. Elle va demander l’aide de son aîné pour démêler le vrai du faux d’une vidéo dans laquelle une jeune femme de la campagne se suicide en direct après lui avoir avoué qu’on l’empêchait de devenir comédienne. Direction le village de la défunte (l’est-elle vraiment ou est-ce un canular pour attirer la star et pourquoi ?) au volant d’un véhicule lambda, le décor de cinéma préféré du réalisateur qui représente à la fois le mouvement et l’enfermement.
4x4
Trois visages dessine subtilement un nouvel autoportrait de l’artiste, cette fois dans l’Iran profond, agité par les questions relatives à la condition de la femme. Les « trois visages » du titre sont en effet ceux de trois héroïnes, à différents stades de la vie : Marziyeh, l’adolescente empêchée, Behnaz, la citadine autocentrée, Shahrzad, la vieillarde recluse -une ancienne gloire du cinéma d’avant la Révolution, dont on ne verra jamais les traits. Leur malheur, nous dit Panahi en substance, est celui de l’Iran, dont l’immobilisme en fait un mort en sursis. Et le 4x4 de progresser à travers des sentiers étroits, comme une métaphore exemplaire du chemin qu’il reste à parcourir.