Toutes les critiques de Terminator 3 : le soulèvement des machines

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Nous sommes en 2003, pour toujours. L'apocalypse était inévitable, on s'en doutait. Alors qu'est-ce qui nous reste à voir dans le noir pour échapper au soleil et à la sécheresse ? Déception ou grand film d'action ? Petite ou grande suite ? Le coup de poker de Jonathan Mostow touche là où l'on ne l'attend pas : par une petite étude du visage hollywoodien et sa mémoire du blockbuster américain.
    Il faudrait parler de T3, dire son étonnant écart, son partage entre le blockbuster et le film artisanal. Parler du visage d'Arnold Schwarzenegger qui ne peut plus être une machine, qui ne sait plus faire semblant, qui n'arrive plus à nous faire croire à son squelette de métal. Dans T3, Le Terminator est devenu humain et cela se lit dans le regard de l'acteur. Ce qui se pressentait à la vue de la bande annonce se révèle exact. Schwarzenegger appartient au passé, à un autre cinéma, et face à lui, le très contemporain TX : une bombe glaciale, sorte de Jennifer Lopez blonde parodiant l'effrayant T1000, joué avec brio par Robert Patrick dans Le Jugement dernier, et qui devient l'incarnation idéal d'un nouveau corps hollywoodien.Terminator 3 est un film qui étonnera autant qu'il décevra. Il ne faut pas s'attendre à de la surenchère. Elle est bien là, mais Jonathan Mostow l'étouffe. Il l'éteint par un découpage hasardeux. Il y a bien des poursuites infernales, de la tôle froissée, des camions qui défient les lois de l'apesanteur, mais le film ne se mécanise pas. Il est une réponse à Matrix Reloaded. Mostow n'est pas une machine, c'est un artificier, un homme de foire. Il s'intéresse peu à sa « Terminatrice » et on se demande même à quoi il s'intéresse vraiment. A son histoire ? Celle-ci est un peu bâclée bien que potentiellement intéressante. Il ne s'agit pas vraiment d'un mauvais scénario. Bien sûr, il a ses escroqueries, ses couleuvres qui dérident un certain sourire ("ma mère est morte d'une leucémie", pas de bol John Connor!). Non, on ne sait pas vraiment à quoi ça tient, mais T3 ne répondra sûrement pas à toutes les exigences.Pourtant, déjà, quelque chose en lui peut passionner, un peu comme l'intrigant Hulk de Ang Lee. T3 est un petit film, comme Mostow est un petit (mais nullement mauvais) réalisateur. Il a su introduire sa part de cinéma, son cinéma bis, d'artisan qui s'efface pour le spectacle et ne vise pas le grand sujet ou une quelconque révolution formelle ou autre. Un spectacle assez modeste, qui contraste donc avec les quelques "énormes" cascades, qui s'attache plus aux personnages qu'aux exploits qu'ils doivent accomplir. Petit film, petite histoire, petite suite, pour un film finalement presque attachant. Peut-être parce qu'il ne répond pas à la logique dans laquelle on a voulu trop vite l'installer, qui sait par pose, par snobisme. "Et alors ?" comme disait Warhol. Alors je m'y attache parce que j'y vois cet acteur qui s'éteint comme sa machine s'use, se périme face au TX. Le Terminator devient existentialiste dans T3. Il se pose des questions et on le fait s'en poser. Le Terminator n'a plus aucune classe, il ne fait plus peur à personne, il se caricature (effet de citations avec les films de Cameron). Le Terminator est déjà un vestige d'un autre cinéma. On a voulu le faire revivre, mais il est usé. Il pose presque la question d'un plus d'humanité dans nos vieilles machines, celles faites de mécanique, qui fonctionnent avec des pistons et des boulons, face au mimétisme, aux multiples transformations du TX fait d'images synthèses. Le Terminator, c'est presque le cinéma d'Eisenstein face à celui des Wachowski. C'est aussi un entre deux, une sorte de Terminator 1.5, entre le premier et le second film. Entre mécanique et synthèse. Mais autant le T1000 nous foutait les jetons (outre les effets spéciaux inédits, il y avait de nombreuses idées dues à John Cameron et au jeu de Robert Patrick, glacial et génial), autant la TX ne provoque rien. Elle est complètement abstraite. Sorte d'entité, elle est purement l'idée de la chose.Alors pourquoi une femme ? Pour changer, tout simplement ? Ou bien la femme est-elle devenue pour les scénaristes le symbole de notre perte, de cette apocalypse que T3 présente comme inévitable ? Est-ce là la prémonition en fiction d'un réel en devenir ? De ce devenir féminin qui fait courir l'homme à sa propre perte ? D'une beauté fatale, aliénante ? Mais ce TX est tout sauf une femme fatale. C'est l'idée, l'objet pur. Jamais ou presque Mostow ne cherche à nous séduire. Jamais le film ne jouera de ses atours et de son tour de poitrine. Elle est glaciale, presque plus froide que Patrick, sauf qu'elle nous laisse dans l'indifférence la plus totale. Elle est en cela la représentation d'une certaine modernité de la femme : belle, active, égale à l'homme, mais absente (ou trop présente). Mais elle n'est plus femme. Elle n'en a plus que le physique, l'apparence, il n'y a plus rien en elle. Il n'y a que la recherche de la destruction de l'homme, et par là l'avènement des machines. Et si le corps de la femme s'était transformé en machine ? Et si celui de l'homme relevait d'un vieux rêve, d'une utopie naturelle usée, fatiguée, incarnée par celui de Schwarzenegger ? Drôle de délire. La Californie est décidément le centre du monde.Pourtant il y a ce visage, ce corps qui ne trompent pas au royaume de l'illusion. Ce corps en morceaux, qui se détériore très vite face à l'inusable TX qui se régénère, s'adapte, se fond. A l'image du T1000, mais comme une sorte d'achèvement, d'aboutissement de celui-ci, qui ne serait plus rien, ne provoquant plus le moindre sentiment. Ici le héros de Terminator est définitivement Schwarzenegger. On le recueille en pièces détachées et, sans fard, il s'expose. Avec lui revient toute une part du cinéma américain des années 80 : Predator, Last action hero, True Lies, Terminator bien sûr ; mais aussi tous ses ersatz : Stallone (autre grand au visage défait), Lundgren, Norris, Van Damme. Bon ou mauvais, là n'est plus tellement la question. C'est déjà du souvenir, un bout de notre mémoire. Cinéma de "kids", bourrin, oublié et oubliable mais avec lequel nous sommes nombreux à avoir grandi. Il n'a pas la classe de la nouvelle vague, ni la beauté farouche des grands studios hollywoodiens des années 40 et 50. Ce n'était pas grand chose, mais ces films étaient là et nous sommes quelques uns à les avoir vus. T3 est un peu leur mémoire et le visage de Schwarzenegger en est la trace. Est-ce le symptôme d'une Amérique qui s'épuise, de mythes usés, d'un cinéma sur le déclin ?Ce que j'ai regardé, ce que j'ai vu et que je garderai, c'est encore et toujours ce visage, ce corps qui supplient de revenir en arrière, de s'incarner, de retrouver le temps de l'enregistrement qui se perd. Ce visage défait qui sait que les machines ont gagné, que l'apocalypse est inévitable, que le cinéma a perdu une bataille.Terminator 3 : Le Soulèvement des machines (Terminator 3 : rise of the machines)
    Film allemand, japonais, britannique, américain (2003). Durée : 1h 49mn.
    Réal. : Jonathan Mostow
    Scén.: Michael Ferris III, John D. Brancato, Tedi Sarafian
    Avec Arnold Schwarzenegger, Kristanna Loken, Nick Stahl, Claire Danes, Mark Hicks
    Date de sortie : 06 Août 2003
    - Lire la brève du 17.05.2003 : Scharzy au tapis
    - Lire la brève du 19.12.02 : Rise of the machine
    - Le site officiel : www.t3-lefilm.com
    - Lire la chronique de Matrix reloaded
    - Lire la chronique de Hulk