- Fluctuat
Après Jellyfish et en attendant Doppelganger voici enfin sur nos écrans Séance, le drame d'un couple entre policier et paranormal, que Kiyoshi Kurosawa tourna pour la télévison en l'an 2000.
Adapté d'une nouvelle de l'écrivain Mark Mc Shane « Seance on a wet afternoon », Séance témoigne d'une parfaite cohérence dans la filmographie du cinéaste. Une oeuvre toujours hantée par les fantômes représentants d'une mémoire collective ou singulière, image d'une société aux enfants malades.Kiyoshi Kurosawa aime les exposés. Il adore poser des problématiques à ses films et tenter avec plus ou moins de réussite d'y répondre, de les illustrer, ou de les dynamiter par l'absurde (Charisma). Ainsi de Cure, grand film tétanisant sur les traces d'un tueur en série amnésique, où la peur d'une disparition de l'humain ne cesse de dialoguer avec des paraboles sur une société qui s'oublie. Ou de Kaïro, film de terreur au profond malaise, avec ses fantômes se propageant par Internet pour mieux illustrer la déréalisation du monde. Kurosawa y auscultait par le genre (polar ou fantastique) une vision du Japon terrifiante et obscure. Profondément abîmée dans des méandres où la communication entre les êtres est devenu complexe, et où le rapport au passé semble se diluer dans une modernité confuse et désespérée.Séance (tourné avant Kaïro) est encore une fois la transposition d'une thèse ouvrant le film et le posant sur des rails qu'il ne quittera jamais. Cure tentait la mise en équation formellement virtuose et géniale du mesmérisme (notamment par un travail sur la bande sonore extraordinairement complexe). Séance lui tente de nous mettre sur la piste d'une obscure théorie de Jung. Prolongée par les réflexions d'un personnage intriguant, le jeune étudiant en psychologie Hayasaka (Kusanagi Tsuyoshi), qui ne serait pas sans rappeler une sorte d'ancêtre de Mamiya (le tueur amnésique de Cure). Cette théorie voudrait nous dire que certaines apparitions de fantômes seraient dû à une interprétation d'un Moi malade de l'individu. Une forme de projection et de matérialisation, appelée justement un Doppelganger.Séance c'est l'histoire d'un couple. Elle, Junko (Fubuki Jun) est médium et un peu paumée, avec le goût amer de n'avoir jamais rien réalisée dans sa vie et probablement de ne pas avoir eu d'enfant. Lui, Sato (le grand Yakusho Koji, acteur habitué chez Kurosawa) est preneur de son (des sons qui ne sont pas sans rappeler ceux de Cure). Rapidement et malgré eux ils vont être embarqués dans l'histoire d'une enfant kidnappée, qui par un concours de circonstances peu probable (mais tant pis), va se retrouver chez eux. Rapidement sollicitée par la police et Hayasaka pour ses dons, Junko va être chargée d'aider à retrouver l'enfant alors que celle-ci est cachée chez le couple.Tout Séance n'est alors que la mise en représentation de l'exposé donné par Hayasaka adapté à ce couple. L'enfant devient le symbole de leurs mal-être, d'une absence. Sa disparition, et ses retours venant hantés les personnages, ne sont rien d'autre que la figuration du malaise. Les apparitions fantomatiques, les dédoublement, toutes les visions sont les purs produits et les matérialisations psychologiques du couple. Kurosawa - très sûr de ses effets qu'il a largement éprouvés et exploités dans Cure et Kaïro - compose une forme de filtration du fantastique dans le réel. Il laisse sans cesse le plan chanceler entre réalité et vérité intérieur, comme de pures figurations de l'inconscient. Joue avec les apparitions terrifiantes des troubles de ce Moi dans la banalité du quotidien. Qu'il place dans des décors aux couleurs souvent trop neutres et apparemment fades, dans lesquels viennent s'immiscer les images de l'intime. Pure processus d'une angoisse qui vient parasiter l'image, comme le profond désespoir et la solitude des êtres de Kaïro venait se glisser sur Internet. Faire pénétrer dans l'atroce banalité des rapports et des lieux convenus une étrangeté sourde, fait sans cesse dire à Kurosawa par des procédés discursifs (parfois peut-être trop scolaires) à la fois limpides et tortueux, que le réel n'est jamais ce que l'on croit. Sa capacité à jouer sur les cadres en y laissant des zones en creux dans lesquels viennent s'incruster les doutes, éprouve continuellement le regard en le mettant en demeure de croire d'abord dans ses propres tourments.Encore à la croisée des genres, et toujours cousin de son comparse Nakata (Dark Water) que Kurosawa cite sans cesse (de Ring pour le côté très Sadako de l'enfant, à Chaos datant de 1999 -grand chef d'oeuvre Hitchcockien injustement inédit en France - pour l'histoire de couple), Séance tente de donner des images à des maux. Le fantastique ne cesse de dire qu'il n'est que la production de nos fantasmes et de nos peurs dont l'origine se tisse toujours avec la réalité. Et même s'il est plus mineur que Cure ou Kaïro, ce téléfilm devenu grand écran confirme à sa manière le talent et la vision singulière de Kurosawa Kiyoshi.Séance
Un film de Kiyoshi Kurosawa
Avec : Yakusho Koji, Fubuki Jun, Kusanagi Tsuyoshi
Sortie nationale le 5 mai 2004[Illustrations : DR Zootrope Films]
- Consulter les salles et séances du film sur Allociné.fr
- Lire
la chronique de Jellyfish (2003)
- Lire aussi la présentation de la Rétrospective Kiyoshi Kurosawa à la MCJP (2001)
- Focus sur les films Kairo / Cure / Charisma dans le cadre de la rétrospective Kiyoshi Kurosawa à la MCJP
- Lire la chronique du film License to live (1999)
- Lire la chronique du film Charisma (1998)
- Lire la chronique du film Cure (1997)
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