Première
par Thomas Baurez
Rodeo s’ouvre peu ou prou, sur un magnifique ballet motorisé façon Mad Max. On pressent d’emblée ce que le cinéma va permettre ici : révéler l’intrigante et sulfureuse beauté d’une fusion homme-machine. Fusion devenant un objet d’excitation que le film se chargera peut-être de titiller. On suit ici Julia (la révélation Julie Ledru), une jeune femme férue de deux roues qui va intégrer une bande de motards adepte du cross-bitume (sport motorisé extrême). Mais celle-ci aura à peine le temps de traverser ce miroir aux cylindres que l’irruption de la police provoque une évacuation précipitée et bientôt le décès d’un jeune rider. La cinéaste Lola Quivoron dont c’est le premier long-métrage, maîtrise son sujet et sa représentation. L’important n’est pas tant de mettre en scène le spectacle d’une supposée bavure (tout reste hors champ), que d’en saisir sa triste finalité. Les circonstances qui ont vu la mort de leur copain ne seront d’ailleurs pas vraiment discutées au sein de la communauté. Le malheureux une fois enterré, verra son visage s’afficher sur la proue des motos en guise d’hommage avant de s’effacer complétement. Triste fatalité d'un mode d'existence extrême. La vie souterraine reprend illico son cours immuable. Pour Julia, en revanche, le défunt restera un ange aux allures de fantôme qui apparaîtra cycliquement dans ses cauchemars.
Le film délaisse alors peu à peu l’adrénaline du ride pour entrer dans un film noir. L’envers du décor du cross bitume abriterait en réalité un monde encore plus clandestin fait de trafics avec un taulard en guise de parrain. Rodeo est un récit immersif à la subjectivité revendiquée, la part documentaire restant en périphérie. Julia intègre ce monde et l’accorde à ses désirs. C’est une véritable prise de pouvoir sur le récit. Tout exsude et exulte avec elle. Julia, animal au sang chaud, ne dompte pas sa machine pour tenter d’improbables figures faisant d’elle l’as de la bande, elle est la machine elle-même. Son corps par une mécanique des fluides, redéfinit les contours de l’espace. Dès lors, quand la cinéaste approche de trop près les rives du réalisme social, le film perd immédiatement en intensité. Rodeo reste un film d’équilibriste autour d’une flibustière du bitume, une amazone aux yeux clairs… La (super-) héroïne avance de sas en sas, non pas pour revendiquer le droit de vivre, mais celui de renaître, enfin.