Première
par Frédéric Foubert
À 66 ans, affi chant une santé artistique à faire pâlir de jalousie ses anciens collègues du Nouvel Hollywood, Steven Spielberg semble plus déterminé que jamais à faire fructifier l’héritage de son vieux maître John Ford. Après Cheval de guerre, qui convoquait le souvenir du Technicolor dans les tranchées de la guerre de 14, ce Lincoln longtemps fantasmé reprend les choses là où les avait laissées le génial Vers sa destinée (Young Mr. Lincoln, réalisé en 1939). De la même façon que Ford racontait la jeunesse d’Abraham Lincoln par le biais d'un film de procès, Spielberg envisage le crépuscule du grand homme sous l’angle d’un suspense parlementaire constellé de joutes verbales affûtées et de monologues qui font se dresser les poils sur les bras. Certains redoutaient le biopic solennel, mais le film s’impose en fait comme une fascinante réflexion sur la loi, le langage et l’humanisme, propulsée par les intuitions formelles sidérantes du cinéaste et le script ultradynamique de Tony Kushner. La réussite du projet tient à la distance idéale que ses auteurs sont parvenus à maintenir avec leur sujet. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à observer la façon dont Daniel Day-Lewis (absolument prodigieux) s’empare de tous les clichés patrimoniaux qui s’attachent à la figure d’Honest Abe pour mieux les réinventer un à un sous nos yeux. Lincoln n’est pas une hagiographie mais le portrait d’un génie serein qui sut traduire ses idées visionnaires dans une langue universelle. Ce qui, l’un dans l’autre, est également une assez bonne définition de Spielberg lui-même.