Première
par Frédéric Foubert
Le premier plan de Leto (« été », en russe) est stupéfiant : trois groupies dans une arrière-cour, en noir et blanc, tentant d’entrer en douce dans une salle de concert. On pourrait être à Liverpool en 64, à Londres en 76, à Manchester en 88. On pourrait être dans Control, A Hard Day’s Night, Velvet Goldmine, Désordre, Not Fade Away... Sauf qu’on est à Leningrad au début des 80s, un espace-temps pas vraiment répertorié dans les encyclopédies rock. Un monde où il est interdit de danser dans les concerts et où les disques du Velvet s’échangent comme des trésors de guerre. Kirill Serebrennikov tricote un biopic sur des stars de l’ère soviétique inconnues sous nos latitudes (Viktor Tsoi et Mike Naumenko) et le décalage linguistique et culturel va nous obliger à regarder ces clichés de la coming of age story électrique comme si on nous les racontait pour la première fois. La troupe de jeunes gens sublimes, le triangle amoureux au coeur du récit, les feux de joie sur la plage la nuit et les étreintes désespérées au petit matin... Parce que la musique binaire trouble l’ordre public, parce que la poésie trash est prohibée, parce que tout peut vraiment s’arrêter du jour au lendemain, alors chaque instant prendra ici un éclat nouveau, presque cristallin. Les passages supposément grisants (des séquences clippesques au son de Psycho Killer ou Perfect Day) sont constamment minés par un coryphée qui précise que ces chouettes moments « ne sont jamais arrivés ». L’Été s’achève et laisse tout le monde face à ses rêves fracassés. Hébétés et perdus. Comment dit-on Dazed and Confused en russe ?