Le critique Laurent Vachaud nous dit tout sur le chef d’œuvre de Kubrick, diffusé dimanche soir sur Arte.
Longtemps considéré comme le film maudit et mésestimé de Stanley Kubrick en raison de son échec dans les pays anglo-saxons, Barry Lyndon a depuis largement été réévalué au point d’être considéré par certains puristes comme le plus grand film de son réalisateur. Laurent Vachaud fait partie de ceux-là. Critique de formation, plume historique de Positif, également scénariste pour le cinéma et la télévision, il est littéralement obsédé par Barry Lyndon qu’il revoit régulièrement et à propos duquel il a tout lu et interrogé certains témoins vivants.
Du tournage de ce drame épique, portrait d’un arriviste irlandais dans l’Angleterre du XVIIIème siècle, on connaît certaines anecdotes : un projet né de l’impossibilité de monter un biopic sur Napoléon, Robert Redford envisagé avant Ryan O’Neal, l’éclairage des scènes à la bougie, le tournage interminable... Laurent Vachaud nous en livre quelques secrets un peu mieux gardés.
Stanley Kubrick le parano
« C’était un cinéaste particulièrement méfiant. Il était notamment persuadé que s’il annonçait son intention d’adapter un livre tombé dans le domaine public (Mémoires de Barry Lyndon, de William Makepeace Thacheray), la BBC s’emparerait aussitôt de l’idée et le grillerait en tournant à la hâte une dramatique télé ! Par conséquent, quand il a commencé à faire circuler le scénario pour le financement, Thackeray n’était mentionné nulle part, le titre était changé ainsi que tous les noms des personnages. Dans le scénario, qu’on peut parcourir sur internet, Barry Lyndon s’appelait ainsi Roderick James. »
Harlan Connection
« Crédité comme producteur exécutif, Jan Harlan est le frère de Christiane, l’épouse de Stanley Kubrick. Il se trouve que Jan et Christiane sont apparentés à Veit Harlan, leur oncle, ce cinéaste allemand tristement réputé pour Le juif Süss, épouvantable drame antisémite tourné en 1940. Veit Harlan a également réalisé Le grand Roi, consacré à la figure de Frédéric le Grand, dont les batailles rappellent beaucoup celles de Barry Lyndon. Je suis persuadé que Kubrick l’a vu, du reste il avait envisagé de faire un biopic sur Veit Harlan qu’il avait rencontré à ses débuts. »
Animaux en folie
« La fameuse scène de la mort du fils de Barry Lyndon a été tournée dans le château de Longleat, au sud de l’Angleterre. Ce lieu historique a la particularité d’abriter un parc safari d’où s’échappaient des cris stridents de singes qui gênaient la concentration de Ryan O’Neal ! Comment les faire taire ? La production a dû acheminer des quantités astronomiques de bananes dont les singes se gavaient pendant que les caméras tournaient. Le procédé fonctionnait plutôt bien jusqu’à ce que les singes tombent malades et soient pris de nausée, occasionnant de nouveaux bruits impossibles... (rires) Il faut savoir que cette scène en particulier a nécessité une centaine de prises, étalées sur plusieurs jours. »
L’énigme Marisa Berenson
« Kubrick a tout de suite pensé à cette actrice américaine qu’il avait repérée dans Cabaret de Bob Fosse. Bizarrement, il a pratiquement coupé tous ses dialogues qu’on peut lire dans le scénario original -qu’il ne respectait jamais. J’ai décompté : elle a en tout onze répliques dans le film ! À partir de la scène de repas où elle fait promettre à son fils de ne pas s’approcher de son cheval sans son père, elle ne parle plus jusqu’à la fin. Les mauvaises langues disent que c’est parce que Kubrick la trouvait trop mauvaise. Elle correspond pourtant parfaitement au personnage de Lady Lyndon, cette beauté un peu spectrale que Kubrick a exploitée sur un registre de cinéma muet. »
Un tueur au casting
« Au début du film, quand Barry doit s’engager dans l’armée, il arrive dans un village où se trouve un recruteur. Le gars qui l’incarne est un vrai gangster londonien de l’époque : John Bindon. Il avait été recommandé à Kubrick par Greg Hodal, doublure régulière de Ryan O’Neal et acteur occasionnel qui devait tenir le rôle mais qui n'était pas disponible à la date prévue. Bindon, qui avait fait des apparitions dans Bons baisers de Russie, Performance ou Get Carter, était pété de trouille à l’idée de rencontrer Kubrick, il avait d’ailleurs vomi avant son audition ! Surtout célèbre pour avoir été l’amant de la princesse Margaret, Bindon a finalement épaté Kubrick. »
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