Un monument de l'histoire du cinéma est à l'honneur ce soir pour la suite du cycle estival d'Arte consacré au cinéma asiatique. La chaîne franco-allemande diffuse en effet dans sa version restaurée Les sept samouraïs, le grand classique d'Akira Kurosawa, sorti en salles en 1954. Fresque retraçant la lutte d'un groupe de sept samouraïs engagés par un village paysan pour se protéger des attaques des bandits environnants dans le Japon médiéval du XVIe siècle, le film s'est vite imposé comme l'une des œuvres définitives du genre et l'un des plus grands films de l'histoire du cinéma, régulièrement cité dans les tops des revues spécialisées.Le succès des Sept samouraïs à l'international a par ailleurs grandement contribué à asseoir la réputation de Kurosawa dans le monde entier. Auréolé d'un Lion d'argent au Festival de Venise, le film a surtout eu une influence considérable sur son époque et inspiré un nombre incroyable de productions aussi bien au Japon qu'à l'étranger. La plus connue d'entre elles fut très certainement Les sept mercenaires de John Sturges, adaptation du film dans laquelle les cow-boys remplacent les samouraïs.Les sept samouraïs ont également marqué le point d'orgue de la relation artistique privilégiée qu'a noué Akira Kurosawa avec son acteur fétiche, Toshiro Mifune. Le film marque en effet la septième collaboration entre les deux hommes, qui tourneront au final seize films ensemble de 1948 à 1965, faisant d'eux l'un des duos réalisateur/acteur les plus iconiques de l'histoire du cinéma, aux côtés entre autres de John Ford et John Wayne ou Robert de Niro et Martin Scorsese, si ce n'est le plus grand.À l'occasion de la diffusion des Sept samouraïs ce soir, retour sur l'une des collaborations les plus fructueuses de toute l'histoire du septième art.Mifune, un nouveau visage du cinéma japonaisLa rencontre entre Akira Kurosawa et Toshiro Mifune remonte à l'année 1947. À l'époque, les studio Toho (qui ont distribué aussi bien les films de Kurosawa et Ozu que ceux des studios Ghibli ou les Godzilla divers et variés), la plus grande compagnie de production de films de l'archipel, est secouée par une grave crise interne qui voit nombre de ses acteurs rompre leur contrat à la suite d'une grève prolongée. La Toho organise alors un immense casting réunissant plus de quatre mille aspirants acteurs pour repérer ses nouveaux visages, dont Mifune fera partie. Il y croise les deux réalisateurs qui feront de lui la plus grande star du cinéma : Senkichi Taniguchi et Akira Kurosawa. Le second est à l'époque scénariste pour le premier et c'est ensemble qu'ils offrent à Mifune son premier rôle au cinéma dans La montagne d'argent en 1947.Une amitié forte se noue entre les trois hommes et l'année suivante, Kurosawa offre à Mifune l'un des rôles principaux de L'ange ivre, qui lance définitivement la carrière de l'acteur. Pendant dix-sept ans, le duo ne va plus se quitter et tourner au final seize films ensemble, dont la plupart des plus grands classiques de Kurosawa : Chien enragé en 1949, Rashomon en 1950 (consacré par le Lion d'or à Venise et l'Oscar du meilleur fil étranger), L'idiot en 1951, Le château de l'araignée en 1957, La forteresse cachée en 1958 (le film a tellement impressionné George Lucas, qui n'a jamais caché s'en être inspiré pour Star Wars, qu'il envisagea d'offrir le rôle d'Obi-Wan Kenobi à Mifune), Le garde du corps (Yojimbo) en 1961 ou encore Barberousse en 1965.Un succès sans précédentÀ l'écran, particulièrement dans les Sept samouraïs, Toshiro Mifune impose sa présence charismatique, sa gestuelle féline ainsi qu'une subtilité dans la palette de ses émotions que Kurosawa va exploiter comme personne. Sur sa direction, l'acteur renouvelle le genre du film de samouraï, incarnant souvent des personnages plus bourrus, volontiers grossiers (bien aidés en cela par la voix très rauque et grave de Mifune), à l'opposé de la représentation traditionnelle du samouraï comme modèle de vertu et de pureté.Dans Les sept samouraïs, son personnage devient même légèrement parodique, du moins capable d'insuffler une dose comique à son personnage plus pragmatique que raisonné (et volontiers caractériel) à cause de son absence totale de bonnes manières. Il invente également chez Kurosawa la figure du guerrier vagabond, dont Clint Eastwood, l'un de ses plus grands admirateurs, s'inspirera pour ses westerns avec Sergio Leone.L'association entre Kurosawa et Mifune fera notamment les grandes heures de la Mostra de Venise, qui déroule le tapis rouge à quasiment chacune de leurs collaborations. Outre les récompenses attribuées aux Sept samouraïs et à Rashomon, Mifune remporte deux coupes Volpi du meilleur acteur pour Yojimbo et Barberousse. La relation entre l'acteur et son réalisateur attitré est si forte que pour ce dernier rôle, il garde sa barbe teinte en rousse pendant près de deux ans pour les biens du tournage.Une rupture douloureuseBarberousse sera pourtant le dernier film que tourneront ensemble Akira Kurosawa est Toshiro Mifune. Dès lors, les tensions vont s'accroître entre les deux hommes, marquant la fin d'une collaboration prolifique qui n'empêchera pas les deux hommes de continuer à connaître le succès par la suite. Si les raisons de la rupture créative et personnelle n'ont jamais réellement été expliquées par les deux hommes, elles s'expliquent par plusieurs facteurs.Son implication totale sur Barberousse et la teinture de sa barbe lui empêchèrent de trouver le moindre rôle en parallèle à l'époque, plongeant Mifune et sa propre société de production dans une situation financière très précaire dont il tint Kurosawa responsable. Et alors que Mifune continue de tourner dans des films de samouraï à succès pour d'autres réalisateurs (Samuraï de Kihachi Okamoto, Rébellion de Masaki Kobayashi), Kurosawa essuie pour sa part un cinglant échec commercial avec Dodes'ka-Den en 1970 qui le pousse à une tentative de suicide.Kurosawa tient rancune à son ancien acteur fétiche, critiquant fréquemment ses récents succès comme une sorte de trahison. Et quand dans les années 1980 Mifune connaît un énorme succès aux États-Unis avec la série Shogun, Kurosawa ne lui pardonne pas cette incartade américaine, la série ayant été qui plus est mal reçue au Japon à cause de ses stéréotypes. Mais jusqu'à la fin de leur vie, les deux hommes resteront liés par leur passé commun : le personnage de Hidetora dans Ran (1985) avait d'ailleurs été écrit pour Mifune avant que Kurosawa n'oppose son veto. Les deux hommes mourront à quelques mois d'intervalle : Mifune le 24 décembre 1997 et Kurosawa le 6 septembre 1998.Si la géniale collaboration entre Akira Kurosawa et Toshiro Mifune ne s'est pas terminée de manière heureuse, cela ne saurait occulter les nombreux chefs-d'oeuvre qui en a découlé. Dans son autobiographie publiée en 1981, Something like an Autobiography, Kurosawa écrivait d'ailleurs : "Mifune a ce talent que je n'avais jamais rencontré auparavant dans le cinéma japonais. C'était avant tout la vitesse à laquelle il s'exprimait qui était époustouflante. L'acteur japonais ordinaire avait besoin en général de dix pieds de pellicule pour faire une impression ; Mifune en avait seulement besoin de trois. La vitesse de ses mouvements était telle qu'il disait autant en une action que les acteurs ordinaires en trois mouvements distincts. Il mettait tout en avant de façon directe et brute, et son sens du timing était le plus vif que j'ai jamais vu chez un acteur japonais. Et quand bien même il était rapide, il montrait aussi une sensibilité étonnamment raffinée".L'histoire des Sept samouraïs : Au XVIème siècle au Japon. Un village de paysan subit les attaques répétées de bandits qui s'emparent des récoltes et des femmes. Les villageois décident d'engager des guerriers qui les protégeront. Le samouraï Kambei accepte de les aider et recrute cinq compagnons et un jeune paysan courageux qui vont apprendre aux paysans à se battre. Les sept samouraïs est diffusé ce soir à 20h50 sur Arte.
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