Chapeau melon et bottes de cuir : l’histoire secrète d’un diamant brut

Sophistiqués comme le champagne. Durs comme le diamant. Chapeau melon et bottes de cuir, alias The Avengers, reviennent sur madelen, la plateforme de streaming de l’INA, avec la diffusion de la totalité des épisodes longtemps restés inédits en France. L'occasion de redécouvrir les années folles de la série, en version originale sous-titrée.

Comment une dramatique télé, diffusée confidentiellement en direct, est devenue la série la plus flamboyante, originale et emblématique des sixties ?

Monument télévisuel, vendu dans 104 pays, maintes fois imité, mais jamais égalé, Chapeau Melon et Bottes de cuir est un cas unique dans l'histoire de la série TV.  La seule à avoir débuté en direct, avant de passer à l’enregistrement en vidéo, puis au noir et blanc 35mm, pour finir en beauté avec deux saisons en 35mm couleur. La seule également dont l'héroïne principale changeait continuellement, pour notre plus grand plaisir. La seule enfin, dont une large majorité du public ignore les premières années. Découverte en France après plus de 5 ans d'existence, Chapeau Melon et Bottes de cuir avait déjà trois saisons au compteur. Trois saisons longtemps restées inédites, avant d’être éditées en VHS et DVD, et dont madelen, la plateforme de l’INA, diffuse en streaming aujourd'hui les épisodes sauvegardés, y compris pour la première fois les épisodes survivants de la saison 1 dans leur intégralité.

QUOI DE NEUF, DOCTEUR ?

Londres, 1960. Dans son bureau, Howard Thomas, directeur de la chaîne Britannique ABC (future Thames Télévision), se gratte la tête. Howard Thomas a un problème. Police Surgeon, une dramatique diffusée en direct qui suit les aventures soporifiques d’un docteur soignant victimes et criminels appréhendés par la police, fait une audience catastrophique. Il vient d’annuler la série - personne ne veut d’une émission à faible taux d’écoute, déjà à cette époque -, mais il adore la star, un jeune acteur du nom de Ian Hendry. Il est convaincu que l’homme possède un énorme potentiel, et désire développer une autre série pour lui, plus en accord avec ses talents.

Quand il a un problème, Howard Thomas à une solution typique de tous les directeurs de chaînes. Il refile son problème à quelqu’un d’autre, de préférence un subordonné ! C’est donc Sidney Newman, directeur des programmes et futur créateur de Dr Who, qui se voit confier la mission de « capitaliser sur la popularité de Ian Hendry ». Thomas lui demande de trouver pour Hendry un rôle similaire, mais plus orienté action et aventure. En quelques minutes, Sidney Newman trouve un titre, The Avengers, (les vengeurs). « Je n’ai aucune idée de ce que ça peut bien vouloir dire », remarque Howard Thomas. « Moi non plus, mais ça sonne vraiment bien, non ? » lui répond son subordonné. Il rebaptise ensuite le Dr Brent de Police Surgeon (qui devient le Dr Keel) et décide de lui adjoindre un partenaire masculin. « Pour contraster avec l’intégrité de Hendry et sa présence physique, il faudrait un agent secret du type MI5, amoral et ténébreux, quelqu’un avec lequel Hendry serait en parfait désaccord ». Son nom ? John Steed, un homme habillé d’un imperméable blanc, armé d’un pistolet et n’hésitant pas à s’en servir, un spécialiste des coups bas. Pour le rôle de Steed, il pense à Patrick Macnee, une de ses connaissances, un jeune acteur qui a un temps vécu à Hollywood, et est apparu entre autres dans un épisode de Alfred Hitchcock Présente.

La production mise en place, le 28 novembre 1960, Macnee rencontre Ian Hendry pour commencer à répéter le premier épisode, la série étant diffusée en direct. Dans l’épisode de lancement, la fiancée du docteur est assassinée. John Steed rencontre le médecin pour la première fois, lui sauve la vie, et offre de l’aider à appréhender les coupables. Très vite cependant, Patrick Macnee manque d’être viré : les producteurs trouvent son personnage trop fade, sérieux et stéréotypé. Ils lui demandent de trouver quelque chose pour le rendre plus attrayant. Macnee décide alors de transformer le personnage de Steed. Il s’inspire d’un vieux film de Tim Whelan de 1939 intitulé Armes Secrètes (en anglais : Q Planes), dans lequel Ralph Richardson joue un agent secret élégant portant un chapeau et un parapluie. La différence : lui sera coiffé d’un chapeau melon ! Mélangeant le personnage avec d’autres influences, (notamment celle de son père, un roi de l’élégance, ou celle du Scarlet Pimpernel, héros anglais de la révolution française qui cachait sous son aspect bonhomme une personnalité dangereuse), Patrick Macnee réinvente, ou plutôt invente John Steed. Il ne le sait pas encore, mais il vient créer un personnage qui deviendra par la suite légendaire.

Ian Hendry et Patrick Macnee dans la saison 1 de Chapeau melon et bottes de cuir

Diffusés en direct, les épisodes (aujourd’hui perdus, à l’exception de trois d'entre eux, disponibles pour la première fois en streaming sur la plate-forme madelen), sont répétés dans un nuage de filles et d’alcool. Hendry et Macnee sont effets très portés sur la bouteille et les femmes et s’amusent à pousser les scénaristes dans leurs retranchements, refusant tous les clichés au profit de scénarios tendant vers le bizarre et l’inhabituel. L'univers des Avengers est en train de naitre, entre le thriller d’espionnage façon Ian Fleming (James Bond n’est pas encore apparu au grand écran) et une vision surréaliste et dérangée de l’Angleterre.

VOIR CATHY ET MOURIR

En mai 1962, la série revient sur les ondes, mais Ian Hendry, qui a répondu aux chants des sirènes du cinéma, n’est plus de la partie. Il est remplacé provisoirement pour trois épisodes par le Dr King, interprété par Jon Rollason. En vérité, il s’agit de recycler les scripts déjà écrits pour Ian Hendry. Le personnage de Steed a une promotion, et se retrouve en tête d’affiche de la série. Mais le producteur Sidney Newman est insatisfait du remplaçant du docteur. En cherchant une autre idée de casting, il visionne à la télévision un reportage sur une femme anglaise, vivant au Kenya. Cette dernière est rentrée un jour chez elle pour y trouver son mari décapité, deux de ses enfants morts, et face à trois indigènes armés de machettes bien décidés à la tuer. Imperturbable, elle les a descendus un par un avec son revolver ! Pour Newman, c’est l’évidence même. Si aucun acteur ne peut marcher sur les traces de Ian Hendry, pourquoi ne pas prendre une actrice, dont le personnage serait un croisement entre celui qu’il vient de voir sur la lucarne noir et blanc, et celui de Ian Hendry ?

C'est la détonation qui manquait aux Avengers, la mèche qu’il fallait allumer. Honor Blackman devient la première Avengers lady, Cathy Gale, une anthropologue, experte en à peu près tout (contrairement à John Steed qui dans les trois premières saisons est plutôt décrit comme bas du front), habillée en cuir, cassant la figure à tous les hommes qui se mettent en travers de son chemin ! Steed passe son temps à essayer de s’attirer ses faveurs, sans jamais pouvoir y arriver, pour la plus grande joie des téléspectateurs, qui se délectent de le voir perpétuellement se faire snober. Pourtant, on voit dans cette deuxième saison que les producteurs s'interrogeaient sur ce choix si progressiste : Steed alterne ses enquêtes avec une autre partenaire féminine plus classique, Venus Smith, chanteuse de night-club incarnée par Julie Stevens, que le retors agent-secret entraine dans les machinations les plus sinistres. Au bout de six épisodes, (que vous pouvez redécouvrir, eux aussi, sur Madelen), cette dernière disparait définitivement. Nous sommes dans les années 60 ; les années 50 sont derrière nous, et Cathy, ou Mrs Gale, comme l’appelle Steed, remporte les faveurs du public, à l’aube de la libération sexuelle des sixties, de la naissance du féminisme - et aussi un peu du fétichisme : par pragmatisme, l’actrice Honor Blackman s’habille en tenues de cuir (qui vont inspirer le titre français très bien trouvé) pour pouvoir se battre sans déchirer ses pantalons, ce qui lui vaudra de recevoir de nombreux courriers envoyés par des britanniques surexcités, projetant sur son personnage les fantasmes les plus fous.

Honor Blackman et Patrick Macnee dans la saison 3 de Chapeau melon et bottes de cuir

Avec sa mise en scène brute, mais inventive (les réalisateurs composent en filmant en gros plan à travers des serrures, chandeliers, verres, plantes occupant le champ de la caméra), The Avengers devient au fil des épisodes une série pour adultes, interdite aux enfants et très en avance sur son temps. Programmée le samedi, à 22 heures, elle fascine toute l’Angleterre, (dont les Beatles qui ne rataient jamais un épisode et s’inspiraient de John Steed pour leurs choix de costumes et leurs Chelsea Boots). La preuve ? Les journaux d'époque rapportent que les rues de la capitale étaient vides aux heures de diffusion, Londres étant agglutiné dans les pubs pour visionner The Avengers. Et on raconte même que le taux de criminalité pendant cette petite heure était systématiquement de 0% !

Le couple Steed Gale rempile pour une deuxième saison en 1963-1964, (elle aussi disponible sur madelen), avec un plus gros budget, et de meilleures histoires, toujours en vidéo et en noir et blanc. Dans l'épisode d’ouverture, Plaidoirie pour un meurtre, Steed se fâche avec Cathy Gale, puis la tue, en oubliant son chapeau melon sur les lieux du crime. Il passe en jugement, et c’est l’occasion d’en découvrir un peu plus sur le passé du personnage. La séquence ou l’avocat de l’accusation le force à se coiffer du melon / pièce à conviction qui se révèle trop grand pour lui, et lui tombe sur les yeux, sous les rires du public, reste un sommet télévisé ! Dans Ne vous retournez pas, le scénariste Brian Clemens (qui deviendra par la suite co-producteur de la série) attribue à John Steed son premier véhicule vintage, une Buggati de la belle époque. Cathy Gale quittera Steed au terme du 78eme épisode, Le Quadrille des homards, et Honor Blackman partira séduire Sean Connery alias 007 dans Goldfinger, un James Bond totalement inspiré par The Avengers. L’agent sophistiqué et suave, loin de se laisser abattre, appelle alors une autre partenaire (Emma Peel ?) à la rescousse par téléphone au cours de l’épilogue, clôturant ainsi le premier chapitre de l'histoire des Avengers.

Cette arrivée de la série en streaming sur madelen - INA, nous permet enfin de replonger, avec des copies sauvegardées et restaurées (et surtout très bien sous-titrées en français), dans le laboratoire des Avengers, la série en chantier. Certes, la finition technique n'est pas aussi aboutie que les épisodes que la France découvrira plus tard, avec Diana Rigg dans le rôle d'Emma Peel et Linda Thorson dans le rôle de Tara King, dont on vous parlera dans un prochain article. Mais les Avengers restent l'une des plus grandes séries, et l'une des plus fascinante du XXe siècle, même dans sa version en construction. Ne ratez aucun épisode.