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Pyramide Films

Découvert au théâtre sous la direction de Christophe Honoré, il crève l’écran pour sa première apparition au cinéma dans le film de Nadir Moknèche

Comment est née chez vous l’envie de devenir comédien ?

Youssouf Abi- Ayad : Dans le monde dans lequel j'ai grandi, en Algérie, je n’ai jamais entendu parler de théâtre. Et le cinéma se résumait aux films que je voyais à la télé. Des films de superhéros, des dessins animés… Et pourtant, dès l’âge de 6 ans, j’ai su que je voulais jouer la comédie. Sans pour autant savoir ce qui se cachait derrière ce mot. Alors quand je suis arrivé en France à 11 ans, j’ai tout de suite essayé de faire du cinéma, jouer comme réaliser mais sans savoir par où commencer. J’allais sur Internet et je tapais « casting » pour essayer de trouver des pistes. Puis grâce à la chorale de mon collège, j’ai découvert ce qu’est la scène. J’ai adoré. C’est comme ça que je suis tombé là- dedans. Et que j’ai enchaîné : école départementale puis concours. J’ai décroché ceux du Conservatoire de Paris et du TNS la même année. Et j’ai choisi Strasbourg qui avait, de mon point de vue, plus une idée du théâtre en termes de troupe. C’est ça qui m’attirait

Qu’est ce qui vous y avez appris ?

Très étrangement, pas beaucoup plus de choses qu'à l'école départementale que j'avais faite, l’EDT 91 dans l’Essonne. Car Christian Janin, son directeur, était lui- même issu TNS. Mais je dirais qu’au TNS, j'ai gagné du temps. Dix ans en trois ans tellement l’enseignement est concentré. D'une certaine manière, je suis devenu une sorte de machine à jouer qui permet en ce moment à mon cerveau de gérer le fait d’avoir six à sept projets en même temps, nécessitant de passer d’un style à l’autre. J’y ai appris cette solidité et cette capacité à m’autonomiser.

Vous faîtes des mises en scène aussi ?

Oui et c’était d’ailleurs une autre des raisons pour lesquelles j’ai choisi le TNS car on avait droit à des cartes blanches. J’y ai donc créé mes premières pièces puis en sortant, j'ai créé ma compagnie à Strasbourg. Du coup, je mène un peu les deux de front, je dirige aussi un festival itinérant l’été dans le Grand Est, avec des représentations en plein air. Je suis artiste associé au CDN de Colmar, CDN de Tours…

C’est au TNS que Christophe Honoré vous a repéré ?

Non, lors des auditions du Jeune Théâtre National, qui regroupe les onze écoles supérieures d’Art dramatique françaises

Qu'est ce qui vous a séduit dans votre travail avec lui sur les deux pièces où il vous a dirigé : Les Idoles et Le Ciel de Nantes ?

Avant de le rencontrer, je dois avouer que je n’avais vu qu’un film de lui. Ce qui m’a attiré vers Les Idoles, c’est le sujet de sa pièce. Ces artistes homosexuels morts du SIDA. J'ai toujours eu la nostalgie de cette époque que je n'ai jamais connue. En l’occurrence la tragédie et la noirceur de ces années où cette maladie s’est immiscée dans les endroits les plus intimes et a provoqué tellement de disparitions tout en déclenchant une volonté de liberté et de s’assumer. Pour préparer l’audition, j’ai lu Avant la nuit de Reinaldo Arenas. Puis j’ai découvert l’intelligence et l’approche du sujet de Christophe, nourris par son travail au cinéma.

Le cinéma était présent dans un coin de votre tête toutes ces années ou le théâtre était vraiment votre seule priorité ?

Le cinéma m’habite depuis longtemps. Car je rêve de mondes fantastiques et très étranges qui sont beaucoup plus difficiles à réaliser au théâtre qu’au cinéma. La narration au cinéma, c'est autre chose et ce n'est pas le même rythme. Après, au théâtre, l'acteur est un peu plus roi car c'est lui qui maîtrise le rythme, le cadre ou même parfois le décor. Alors qu'au cinéma, on rentre dans un monde et c’est précisément ce qui me donnait envie. Mais je me suis toujours dit que ça ne servait à rien de courir derrière tout ça, que ça viendrait si ça devait arriver. Je me suis concentré sur ce que j'avais réussi à construire au théâtre, sur les gens que j'avais rencontré. Je préfère donc renforcer ce que j’ai construit et si des choses s'y ajoutent, tant mieux. Et pour l’instant, j’ai eu la chance que tout se goupille parfaitement. Je n’ai pas eu à faire de choix.

L'AIR DE LA MER REND LIBRE: SENSIBLE ET ATTACHANT [CRITIQUE]

Comment Nadir Moknèche vous a-t-il choisi pour L’air de la mer rend libre pour incarner ce jeune homme d’origine algérienne qui cache son homosexualité à sa famille et accepte le mariage arrangé qu’ils ont organisé pour lui ?

Là encore par des essais. Le rôle m’a tout de suite passionné, il a trouvé un écho en moi. Donc j’ai tout de suite posé à Nadir beaucoup de questions sur son scénario, je m’étonnais qu’il ne soit pas si noir. Et ces premiers échanges m’ont tout de suite permis de comprendre de manière limpide le film que Nadir

Qu’est ce qui vous a plus précisément séduit dans le scénario ?

Le fait que ce scénario échappe à de nombreux clichés des histoires de coming out. Et précisément le fait qu’on ne s’y déchire pas violemment. Que tout soit plus sourd. Nadir m’a expliqué qu’il avait déjà vécu cette violence et n’avait pas envie de la raconter. Là, tout est devenu très clair pour moi. J’ai aimé ce qui m’a d’abord dérouté. La simplicité, la limpidité de l’histoire. Dans le cinéma de Nadir, la violence est d'une douceur incroyable.

Comment avez- vous travaillé votre personnage ?

J’ai su que j’étais engagé seulement deux mois avant le tournage, alors que je jouais Le Ciel de Nantes. Et j’ai directement enchaîné la dernière représentation de la pièce. Sans sas de préparation. Je dirai donc que j’ai vraiment travaillé au jour le jour. Pour resituer chaque scène dans le contexte de la précédente, puisqu’on ne tourne pas dans l’ordre chronologique. C’est ça le plus difficile par rapport au théâtre. Tu n’as pas à gérer le public, tu n'a pas à gérer ton volume, tu n’as pas à gérer comment ça résonne. Il s’agit juste de comprendre sa petite part. Ne pas en faire trop sans pour autant s’effacer. Puisque la caméra saisit des choses malgré nous.

Nadir Moknèche vous a donné des références pour vous aider à composer votre personnage ?

Non, pas du tout. Car, au fond, je ne connais pas de film qui raconte ce que raconte ici Nadir de la manière dont il le raconte. Ce qui m’a aidé, c’est de voir son Lola Pater car L’air de la mer rend libre se situe dans la même veine.

Et comment est- il sur un plateau ?

Stressé ! (rires) C’est logique. Il avait ce film en tête depuis longtemps. C’était un enjeu immense pour lui et il ne fallait pas flancher alors que le budget était serré. Les journées étant remplis, pas question de multiplier les prises donc il fallait être au taquet, le droit à l’erreur était limité. Mais il ne nous l’a fait jamais ressentir.

Qu’est ce qui vous a séduit dans le travail avec Kenza Fortas ?

 Le fait qu’on ne joue pas du tout la même manière. C’est passionnant de faire cohabiter ainsi deux mondes. Là encore, cela correspondait à nos personnages. Je crois que le film raconte notre rapport.

Où va-t-on vous retrouver prochainement ?

Du 12 au 18 octobre, je vais jouer aux Bouffes du Nord Stabat Mater, que met en scène une amie Maëlle Dequiedt, mêlant jeu et musique. Je fais aussi régulièrement des spectacles de Drag queen et je reprendrai Le Ciel de Nantes en 2024

Et avez- vous en tête l’idée de réaliser un jour ?

J’y pense de temps en temps. Mais quand je vois le temps qu’il faut pour monter un projet au cinéma et le financer, il y a une part de moi qui ne veut plus attendre. Au théâtre, la réponse est plus rapide. Mais pourquoi pas m’y essayer en passant par le court métrage ? Aujourd’hui, j’en suis un peu plus loin au théâtre qu’au cinéma. Et je ne sais pas si j'ai l'énergie de redémarrer de zéro. Au cinéma, j’ai plus envie qu’on me propose des choses ou exprimer des envies comme acteur. J’ai 31 ans, Je connais ce qui me manque et je n’ai plus peur d’y aller. Donc initier des projets sans les réaliser moi- même, ça j’adorerai.

 

De Nadir Moknèche. Avec Youssouf Abi- Ayad, Kenza Fortas, Zahia Dehar... Durée 1h30. Sortie le 4 octobre 2023


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