Aimable production « à l’ancienne » lors de sa sortie, Le Masque de Zorro est devenu, vingt-cinq ans plus tard, un objet étonnamment mélancolique, encapsulant dans ses horizons pourpres, ses pirouettes rigolotes et ses duels à fleurets mouchetés, une certaine idée du divertissement. L’antidote parfait à notre époque porterait-il un loup et un chapeau andalou ?
Le Masque de Zorro est à revoir ce dimanche à 21h sur Arte.
Zorro n’aura pas survécu au XXe siècle. Créé une vingtaine d’années avant son alter-comics, Batman, le renard rusé qui fait sa loi appartient désormais à un monde englouti, celui des romans de gare, des serials et de la téloche du mercredi après-midi. Sa descendance super-masquée a de son côté fait main basse sur l’industrie du divertissement, de l’auto- défense et des chambres d’enfants.
Aujourd’hui, Monterey, la ville de Don Diego, évoque donc plutôt un système d’exploitation pour MacBook, le patronyme de la Vega renvoie à un duo-frérot du Top 50 et impossible sans Google d’affirmer avec certitude que Torpedo ne s’appelle pas en réalité Tornado. Alors oui, bien sûr, il reste la chanson (made in Disney) et le nom (qu’il signe à la pointe de l’épée), comme imbriqués à jamais dans l’inconscient collectif, mais plus grand-chose d’autre.
Modeste production Spielberg de la fin des 90s, Le Masque de Zorro de Martin Campbell fête cette année ses 25 ans. Avec le temps qui passe, il semble avoir pris une certaine consistance, probablement due à la raréfaction de ce type de spectacle. Il s’envisage non seulement comme un film du XXe siècle, mais surtout comme un film qui dit adieu à ce siècle, un peu à la manière d’un autre sommet hollywoodien sorti quelques semaines auparavant, Titanic.
Un Zorro bondien
Campbell part d’ailleurs d’une ambition assez proche de celle de Cameron : s’emparer d’un genre qui vit ses dernières heures (le film catastrophe d’un côté, celui de cape et d’épée de l’autre) et en presser les dernières gouttes avant de laisser la place. Le Zorro d'Antonio Banderas va donc moins visiter la mythologie de son héros que celle d’un genre dont il fut un temps l’incarnation (de l’époque Douglas Fairbanks jusqu’à celle de Tyrone Power, disons). Et puis s’en aller. Sans se presser.
Ça commence très fort, avec un prologue bondien (Campbell sort tout juste du succès de GoldenEye), où l’on assiste au baroud d’honneur d’un Zorro jeune papa, délivrant une nouvelle fois de pauvres Mexicains du joug espagnol. On devine dès les premiers gros plans les yeux clairs d’Anthony Hopkins derrière le masque (les saltos effectués dans les airs permettent d’être moins catégoriques sur son identité) et il va falloir croire dur comme fer en ce de-aging particulièrement rudimentaire si l’on veut s’amuser un peu.
Aucune chance que Hannibal Lecter croise le fer avec autant de souplesse, c’est certain, mais où est le problème ? D’emblée, c’est comme si le film nous demandait de déposer les armes et de faire semblant. Comme si un vieil Anglais anobli et formé par Laurence Olivier pouvait vraiment interpréter un hidalgo épéiste dans la force de l’âge. Comme si le temps s’était arrêté quelque part au début des années 50, entre Scaramouche et Le Prisonnier de Zenda. Comme si les conventions n’avaient plus jamais bougé depuis.
On repart à Zorro
Après cette succulente entrée en matière, Le Masque de Zorro va se permettre d’envoyer Don Diego de la Vega au bagne, sa femme ad patres et sa jeune fille dans les griffes de son pire ennemi. Une ellipse de vingt-cinq ans nous informe alors que cette histoire ne sera pas (tout à fait) la sienne, mais plutôt celle du fougueux Alejandro Murrieta (joué par Banderas), qu’il va former dès son évasion réussie et son arthrose déclarée.
Cette mise en retrait du mythe Don Diego, et son installation en tant que simple mentor vieillissant, sera à peu près la seule concession que le film accordera à son époque. Il faut d’autant plus la relativiser qu’il s’agit par ailleurs d’une adaptation très fidèle du dernier roman signé par le créateur de Zorro, Johnston McCulley, à la fin des années 50.
De fait, on assiste là à une drôle d’idée industrielle : relancer la « marque » tout en s’emparant de la dernière aventure officielle du personnage (huit ans plus tard, Martin Campbell se rendra compte qu’il est tout de même plus commode de repartir des origines avec Casino Royale, modèle de reboot à la sauce contemporaine). Zorro est mort, vive Zorro : voilà pour le high-concept, ce truc que les 90s aimaient tant.
La batcave de Don Diego
Et après ça, il est temps de passer aux choses sérieuses. Pas si sérieuses que ça au fond, puisque Le Masque de Zorro est à ce point obsédé par l’idée de sonner à l’ancienne qu’il ressemble parfois à un bon vieux Mel Brooks. Ici, la couleur des cieux reflète systématiquement les états d’âme des héros, les étals des marchés mexicains exposent les fruits les plus juteux aperçus depuis la Genèse, et le grand méchant (qui s’appelle M. Love) collectionne les têtes de ses ennemis pour les exhiber dans d’immenses bocaux remplis de formol.
Toutefois, ce n’est jamais présenté comme un exercice de style fétichiste, juste comme une formulation, un langage à part entière. Tout ceci fonctionne très bien parce que chaque rouage de la chaîne de fabrication bénéficie d’un soin hors du commun. Les matte paintings, très visibles, sont beaux à en pleurer, chaque pierre de la batcave de Don Diego a été taillée amoureusement par une sorte de génie, la soie de la chemise de Banderas fout des frissons et certaines cascades semblent conçues pour faire hurler de rage Jackie Chan (sommet : Zorro qui saute du toit du quatrième étage pour atterrir comme un charme sur son cheval, le tout capturé en un seul et inexplicable plan fixe). Tout ceci est bien sûr garanti sans images numériques, mais ça ne relève pas de la posture pré-nolanienne, simplement de l’évidence. Ce Zorro n’est pas là pour déclamer, juste pour s’amuser.
La fin d'une époque
Et oui, on n’en fait plus des films comme ça. C’est d’ailleurs tout le projet, nous faire sentir que le rideau sur l’écran va tomber. Après la rigolade, les duels à l’épée et les pirouettes, il y aura un monde qui va se faire engloutir. Lorsque le vieux Don Diego de la Vega rend son dernier souffle juste après l’escarmouche finale, c’est le Titanic qui coule dans un silence de mort chez Cameron et le XXe siècle qui s’efface sur la pointe des pieds.
L’intuition industrielle était la bonne, adapter le dernier roman de la saga pour accoucher d’un objet terminal. Le plan a été suivi à la lettre. Fabriqué d’une matière dont on n’habillera plus jamais les films, Le Masque de Zorro semble pourtant à peine conscient de sa grandeur mélancolique. Elle est de plus en plus palpable à mesure qu’il prend de la bouteille et que l’on constate que personne n’a osé refaire un truc pareil.
Il y a 25 ans, Spielberg prédisait l’avenir à Antonio Banderas sur le tournage de ZorroUne partie de sa beauté réside là-dedans. On pourra alors s’interroger, mais pas bien longtemps, sur l’existence de cette sequel tardive (La Légende de Zorro en 2005 par plus ou moins la même équipe) qui est venue inverser méthodique- ment le cap établi (en succombant à la surenchère, aux clins d’yeux, au numérique, à la fièvre du branding). On peut aussi faire comme si on n’en avait jamais entendu parler (d’ailleurs vous l’aviez tous oublié) et regarder Le Masque de Zorro comme un authentique one-shot, une histoire qui n’en appelle fondamentalement aucune autre.
À la fin d’ailleurs, le vieux Zorro n’est plus, et le nouveau a préféré devenir papa, parce que c’est tout de même moins fatigant. Plus question de surgir hors de la nuit et encore moins de courir vers l’aventure au galop. Le renard a regagné son terrier, bientôt tout le monde l’aura oublié.
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