Le carton du diptyque de Denis Villeneuve a renforcé l’aura du film le plus mal-aimé de la carrière de Lynch, disponible en streaming sur France TV.
Autrefois, c’était le vilain petit canard de la filmo du réalisateur de Blue Velvet et Elephant Man : Dune était le film que les lynchiens les plus fidèles adoraient détester, le repoussoir, le monstre qui ne semblait justement exister que pour justifier les grandes œuvres de Saint David. Ce qu’il était effectivement : on sait que Dino de Laurentiis, producteur de Dune, avait "offert" Blue Velvet à David Lynch en compensation du vortex financier et critique que fut le film à sa sortie en 1984. Justement, en décembre 2024, on fêtera à la fois les quarante ans du Dune de Lynch et le succès de Dune : Deuxième partie de Denis Villeneuve. Célébrer le Dune de Lynch, vraiment ? Et pourtant, quatre décennies après, les fidèles de la version de Lynch semblent plus nombreux que jamais.
Dune Express
Et c’est normal. A l’ère où l’on réédite le Flash Gordon de 1980 (autre production De Laurentiis) en blu-ray 4K dans une édition prestigieuse, aucune raison pour que Dune n’échappe à la grande réhabilitation des nanars 80s, alimentée par des réalisateurs comme James Gunn -Les Gardiens de la Galaxie, la grande (la seule ?) réussite Marvel post-Avengers : Endgame, se situe en plein dans cette tendance. Mais la fascination pour Dune 84 a été longtemps alimentée par le development hell subi par Dune depuis près de vingt ans : les deux adaptations de la saga Frank Herbert en série télé (Dune en 2000 et Les Enfants de Dune en 2003) restent largement sous le radar de la zeitgeist geek.
On se souvient surtout des Enfants de Dune moins pour son jeune James McAvoy que pour la musique spectaculaire de Brian Tyler, utilisée pour illustrer l’émission Pékin Express. Si l’on voulait voir Dune, on n’avait pas le choix et on regardait le film de Lynch. Plus les tentatives d’adaptation rataient, plus le film de 1984 paraissait grandir. Pour certains, la preuve artistique réelle de l’impossibilité de filmer de nouveau le best-seller d’Herbert. Ce n’est pas que fonction de la technologie de l’époque : les SFX de Dune 84 sont souvent fascinants. Même si les vers des sables sont nazes, le navigateur de la Guilde flottant dans son nuage d’épice dans la première scène du film est inoubliable.
Dino versus Denis
Et puis, après trois décennies de faux départs, Dune est enfin sorti au cinéma. La vision de Denis Villeneuve, en deux parties, est un colossal morceau de cinéma… complètement à l’opposé de celui de David Lynch. Un film propre et soigné, conçu de façon réaliste (c’est-à-dire sans déconner niveau budget et production) et efficace, alors que le Lynch est un sale film chaotique et agressif. Le Dune de Lynch est avant tout un film de Dino De Laurentiis : l’œuvre d’un producteur de génie à l’ambition immense, prêt à tout, plein d’hubris et de démesure plus ou moins bien placée, alors que le Dune de Villeneuve est avant tout… un film de Villeneuve, bien sûr. Un super-film d’auteur à la Christopher Nolan. Pas un film de producteur.
C’est là toute la différence, et là où le Dune de 1984 va devenir un étendard non seulement pour les haters de Denis Villeneuve mais aussi, plus généralement, pour celles et ceux qui détestent la "nolanisation" des blockbusters, à laquelle carbure le Villeneuve : l’esthétique brutaliste, la musique de Hans Zimmer, le design par soustraction… Tout ce que le Lynch, avec son esthétique de super-péplum galactique malade et baroque, n’est pas. Ce sont deux films d'auteur, mais le Dune 2021 est un blockbuster de l'ère des franchises ; Dune 1984 est une espèce d'anomalie.
David versus Denis
Les contempteurs du nouveau Dune sont renforcés dans leur position par Lynch lui-même. Au départ, comme il reniait son Dune, ses fans semblaient bien obligés de le suivre ; maintenant, comme il refuse également de reconnaître l’existence même du film de Denis, on se demande si au fond son film de 1984 ne vaut pas le coup de le réévaluer même en tant que fidèle hardcore de Lynch. En avril 2023, quand Yal Sadat des Cahiers du cinéma osait demander à Lynch s’il avait vu le Villeneuve, le réalisateur était on ne peut plus clair : "Je ne le regarderai jamais, et je ne veux même pas que vous m’en parliez, jamais." Lisan al-gaib !
Une parole qui affirme alors, pas si paradoxalement que ça, que le Dune de 1984 est le seul et unique Dune. Et qui, quelle que soit votre position sur le sujet, mérite bel et bien d’être revu. Mais si l'on peut aimer à la fois le Villeneuve et le Lynch pour leurs qualités propres, peut-on vraiment être fan de Mulholland Drive et Twin Peaks et adorer Dune 84 ? Là, c’est un autre sujet. On y réfléchira en revoyant Dune chez soi, sur petit écran.
Le Dune de David Lynch est disponible en streaming sur France TV jusqu'au 30 mars
Commentaires