Evan Rachel Wood
UFD / Apollo Films / HBO

L’héroïne de Thirteen revient au cinéma avec Kajillionaire, après des années consacrées aux séries et notamment à Westworld. Spoiler : c’est un retour gagnant.

Dans la scène inaugurale de Kajillionaire, le troisième film de Miranda July, une famille vivant de combines foireuses use de contorsions physiques pour se faire la plus discrète possible afin d’accéder à la tanière qu’ils squattent allègrement. Cette image donne le ton fantasque du récit qui va suivre, mais symbolise aussi la manière dont Evan Rachel Wood – qui joue la fille unique de ces arnaqueurs à la petite semaine – fait son retour sur grand écran après une dizaine d’années sans rôles importants. Sur la pointe des pieds. Sans tambour ni trompette. Comme pour se réapproprier une parole et un destin qu’on lui aurait volés.

Enfant de la balle (père directeur de théâtre, mère actrice), Evan Rachel Wood est tombée dans le cinéma toute gamine. Certes, elle se fait coiffer au poteau par Kirsten Dunst pour Entretien avec un vampire, mais dès 11 ans, elle tourne régulièrement avant de décrocher la timbale avec Thirteen et ce rôle d’ado sage basculant dans un quotidien sexe, drogue & rock’n’roll à cause de sa fascination pour une copine. Le rôle est fort, l’interprétation démente et, de Ron Howard à Woody Allen en passant par Darren Aronofsky, Robert Redford et George Clooney, tout le monde se l’arrache. Le début des années 2010 marquera un coup d’arrêt à cet enchaînement. Par manque de proposition aguichante, parce que les modes passent, par désir de descendre d’un manège devenu fou.

Kajillionaire : le grand retour de Miranda July [Critique]

Le rôle d’une vie

Alors que sa cote ne cesse de monter, la discrète Evan Rachel Wood est en effet jetée en pâture aux tabloïds. Notamment à cause du couple qu’elle forme alors avec Marilyn Manson, caricaturée en oie blanche sous l’emprise du grand méchant loup. Envolé le libre arbitre, piétinée la vie privée. On parle pour elle. Alors quoi de mieux que s’effacer pour mieux reprendre le cours de sa vie ? C’est ce qu’un rôle va lui permettre : Dolores Abernathy, de la série Westworld, robot créé pour satisfaire les fantasmes de clients d’un parc à thème qui réussit à s’enfuir après que son programmeur l’a rendue autonome. "Elle m’a donné une force que j’ignorais avoir en moi", raconte-t-elle à l’époque. "On ne se libère jamais complètement de ses démons, mais lorsque vous parvenez à les utiliser pour créer autre chose, cela leur donne presque du sens." La série débute en 2015. En 2016, Evan Rachel Wood révèle dans Rolling Stone qu’elle a été violée à deux reprises. En 2018, elle témoigne devant le Congrès américain, y raconte sa tentative de suicide et son internement volontaire suite aux violences qu’elle a subies.

Evan Rachel Wood révèle avoir été violée deux fois

Westworld a donc changé sa vie de femme et sa vie d’actrice, car plus que jamais, elle peut choisir ses rôles au cinéma sans avoir à courir les cachets et en recalant ceux bien moins intéressants que cette Dolores qu’elle ne cesse de creuser au fil des saisons. La proposition de Miranda July avec Kajillionaire coche toutes les cases. "Elle était tout en haut de ma shortlist des réalisateurs avec qui je rêve de tourner", confiait la comédienne au festival de Sundance. "Il y avait bien cette pression de dingue de tenir un premier rôle dans le premier film où Miranda ne jouait pas elle-même. Mais cette pression se dégonfle comme une baudruche quand on lit un tel scénario. Faire partie d’un projet avec une vision aussi originale est un luxe aujourd’hui."

Le cinéma, Evan Rachel Wood semble l’apprécier comme jamais depuis qu’elle a repris le contrôle de sa vie. Elle a quitté L.A. pour Nashville, elle a repris des études de droit. Et à l’écran, quelque chose se passe. L’actrice et son personnage de Kajillionaire – qui après des années à obéir en silence aux règles qu’on lui a toujours apprises va enfin agir à sa guise – ne semblent faire qu’une. Le film de la renaissance ? Indubitablement. Mais pas pour repartir dans un enchaînement sans fin de projets. Juste pour nourrir l’inspiration d’autres cinéastes de sa wish-list et d’autres visions originales qui rencontreront ses envies. Ceux-là seraient fous de ne pas frapper à sa porte.