Le duo de réalisateurs revient avec Cherry, sur Apple TV+, où Tom Holland joue un junky. Rencontre.
Après cinq ans de bons et loyaux services chez Marvel Studios (Captain America : Le Soldat de L’Hiver, Captain America: Civil War et le diptyque monstre Avengers : Infinity War/Avengers : Endgame), les frères Russo reviennent à un cinéma moins friqué avec Cherry, disponible le 12 mars sur Apple TV+. L’histoire d’un jeune homme de Cleveland (Tom Holland), de retour d’Irak avec un sérieux syndrome de stress post-traumatique, qui plonge dans la drogue et se met à braquer des banques pour payer ses doses. Interview.
Cherry : que vaut le film avec Tom Holland sur Apple TV+ ? [critique]Comment avez-vous décidé quel serait votre prochain film, après avoir réalisé Avengers : Endgame, le plus gros succès de tous les temps au box-office ? C’était logique de revenir à quelque chose de plus modeste ?
Anthony Russo : Ça nous semblait naturel en tout cas. On a commencé notre carrière avec des films indépendants à tout petits budgets, on connaît bien ce monde-là ! C’est comme ça qu’on a appris à faire du cinéma. L’histoire derrière Cherry, c’est qu’on était encore en plein dans Avengers : Endgame quand on nous a recommandé le bouquin de Nico Walker. Un choc. Nous sommes originaires de Cleveland - là où se passe l’histoire - et bien sûr, tout cet univers nous parlait énormément. Mais ce qui a fait qu’on a souhaité tourner le film juste après Endgame, c’était le sujet même : l’addiction aux opioïdes. C’est quelque chose qui a été très présent dans nos vies, on a perdu des amis et des proches à cause de ça. Joe et moi avons immédiatement ressenti le besoin d’en parler, et il nous semblait que culturellement et socialement, c’était important de le faire. Car même si on est désormais conscients de la crise des opioïdes, en 2020, aux États-Unis, il n’y a jamais eu autant d’overdoses. Ce problème n’a pas été réglé, très loin de là.
Vous cherchiez également une forme de liberté après autant de temps chez Marvel Studios ? Un projet plus personnel ?
Joe Russo : Tout ce qu’on fait est personnel pour nous ! On ne peut pas bosser si on n’a pas un lien émotionnel avec le projet. Évidemment, Cherry est extrêmement personnel, comme vous le disait Anthony. Mais vous savez, même dans les films Marvel, on a réussi à faire passer nos idées politiques.
Par exemple ?
Notamment des croyances sur la vie en général, et la valeur de se battre pour ce à quoi on croit. Pour Cherry, on a tourné à Cleveland, notre ville natale, là où tous nos amis et notre famille nous ont aidé à faire notre premier film [Pieces, NDLR], il y a 25 ans. On était des outsiders, Hollywood nous semblait complètement impossible à atteindre. Mais maintenant qu’on en est où on en est, il faut que notre marque et notre influence servent à quelque chose. À permettre à de bonnes histoires, qui n’auraient pas vu le jour autrement, d’exister à l’écran. C’est ce qu’on fait avec notre société de production, AGBO Studios : on a produit Relic - un film au casting 100 % féminin sur la démence - ou Mosul, avec un cast arabe en langue arabe, qui évite les stéréotypes. On travaille aussi avec Barack Obama sur l’adaptation du livre Exit West. Et on a plein de projets sur des sujets socio-culturels qui nous importent, comme un film sur l’affaire Cambridge Analytica.
Au coeur de Cherry , il y a l’histoire d’amour entre les personnages de Tom Holland et Ciara Bravo. J’ai l’impression que vous utilisez ce fil rouge comme un outil scénaristique pour faire avaler les scènes les plus dures au grand public.
Anthony Russo : Vous avez raison. C’était un élément important. Le film parle de choses très difficiles, mais on voulait qu’il reste accessible à un large public. On a envie qu’il soit vu et apprécié ! Donc on a essayé tout un tas de techniques pour faire en sorte que Cherry ne soit pas une expérience écrasante. L’histoire d’amour était l’une d’elle : elle permettait de garder une dose d’espoir, malgré tous les problèmes et les difficultés que les personnages rencontrent. Et Cherry se déroule sur 18 années… C’est très long, donc il fallait une forme de cohérence dans tout ça. La romance était l’élément de continuité qui permettait de faire tenir le scénario.
Mettre au point des « techniques » pour que les gens apprécient le film, est-ce le genre de réflexion que vous aviez il y a encore dix ans ? Ou bien est-ce le résultat de votre passage chez Marvel ?
Joe Russo : Plus on tourne, plus on devient conscient de la façon dont les gens vont réagir. Une sorte d’instinct, si vous voulez. Mais plaire au public n’est pas notre but principal, même pour les films Marvel. Ces histoires n’ont pas été imaginées pour charmer les fans, parce que les fans veulent tous quelque chose de différent. Quel genre de film ça donnerait si on écoutait tout le monde ? On fait toujours du cinéma en fonction de ce qu’Anthony et moi avons envie de voir.
Alors pourquoi chercher des astuces et ne pas vous préoccuper uniquement de votre vision des choses ?
Joe Russo : Parce que Cherry est un film qui tente de parler à la génération Z, qui à notre sens est la plus à risque concernant les opioïdes. Ce sont des jeunes qui n’ont pas l’expérience de vie nécessaire pour éviter de tomber dans l’addiction. Le film ne parle que de ça : un garçon trop jeune pour faire les choix qu’il fait, et la façon dont sa vie en est altérée pour toujours. Donc forcément, parfois, vous vous dites : « Partons dans une direction qui parlera plus à ces gamins. » Cette génération a une façon très particulière de consommer le contenu visuel, beaucoup plus importante que toutes les générations qu’il l’ont précédée. Et je crois qu’à l’avenir, ça va forcément changer la façon dont les histoires sont pensées. Il va y avoir une rupture dans la narration cinématographique. Ils sont si adaptés à la technologie - comme nous ne l’avons jamais été - que notre façon binaire de consommer et de raconter des histoires sera du passé. J’y crois vraiment. Le storytelling va prendre une direction qu’on n’imagine même pas. De la même façon que la production d’énergie est en train de se réinventer autour du monde, le cinéma suivra.
Vous pensez que les salles ne survivront pas à la crise actuelle, que c’est déjà du passé ?
Joe Russo : Je crois qu’il y aura toujours des salles de cinémas. Mais les films qui s’y retrouveront ne seront plus les mêmes. Ça va devenir de plus en plus compliqué pour les plus petits d’y trouver leur place. Le Covid nous a collectivement entraîné à choisir très prudemment quand on se rassemble, et pourquoi on se rassemble. Les gros événements cinématographiques vont continuer de faire venir les gens au cinéma, c’est certain : il y aura toujours besoin d’une forme de communion. Mais il se passe quelque chose de très important en ce moment avec les plateformes de streaming, qu’il ne faut pas mettre sous le tapis : elles permettent l’éclosion de projets plus variés et intéressants que jamais. Et ça, c’est parce que que leur façon de mesurer le succès d’un film est différente du cinéma traditionnel. Les salles veulent du contenu safe, qui marche pour la masse, parce que ça coûte cher d’aller au cinéma et que le spectateur ne doit pas regretter d’avoir dépensé son argent. Sur Netflix, ce n’est plus un problème. Beaucoup plus de gens peuvent avoir accès à des films qu’il ne verraient jamais autrement. C’est crucial, et ça va accompagner ce changement dans le storytelling dont je vous parlais. Il y a des tas de types de films que je ne voyais plus au cinéma depuis des années et que je retrouve sur les plateformes. La distribution numérique est un changement radical pour le business du cinéma.
C’est pour ça que vous avez choisi de vous associer à Apple TV+ pour Cherry ? Vous étiez dans une position si confortable après Avengers : Endgame que vous auriez pu exiger une sortie en salle.
Anthony Russo : En fait, on a financé le film de manière indépendante. On ne l’a vendu à Apple qu’il y a quelques mois, pendant la pandémie. Ceci étant dit, Apple est une plateforme très excitante pour les cinéastes, comme l’expliquait Joe juste avant. Et à mon avis, ça durera bien après la pandémie.
Où est-ce que vous vous voyez en tant que cinéastes dans quelques années ? Vous allez rester sur des projets à petit-moyen budget ?
Anthony Russo : On aime tous les types cinéma, je crois que notre filmographie le prouve. On va continuer comme ça, à explorer les différentes formes qui s’offrent à nous… Et si notre société de production a d’abord été fondée pour faire émerger des talents, on a aussi pour but de faire les gros blockbusters pour lesquels on est connus depuis de nombreuses années. On travaille avec les scénaristes Chris Markus et Stephen McFeely, qui ont notamment écrit nos films Marvel. Nous avons des choses très spéciales en stock, de très gros films qu’on développe depuis maintenant un bon moment. Donc on va s’y mettre sérieusement dans les années qui viennent, et ça nous enthousiasme énormément.
Cherry, disponible le 12 mars sur Apple TV+.
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