“J'ai eu beaucoup de chance d'aller en prison : c'est là que j'ai rencontré des gens m'ont aidé à passer la frontière,” raconte le réalisateur lauréat d’un Prix spécial du Jury à Cannes cette année.
La semaine dernière, Mohammad Rasoulof opérait un geste fort en montant les marches de la première cannoise de son dernier film, Les Graines du figuier sauvage avec les photos de membres de son équipe, toujours détenus en Iran.
Un geste particulièrement symbolique lorsque l’on sait que le réalisateur avait choisi la Croisette comme point de chute de sa cavale internationale après avoir été condamné à huit ans de prison et une cinquantaine de coups de fouet par la République Islamiste. Mais également lorsque l’on sait que le film qu’il présentait en compétition officielle à l’occasion de ce 77ème Festival de Cannes a été réalisé en secret, et sans autorisation.
Les Graines du figuier sauvage zoom sur “un Téhéran secoué par des troubles politiques et sociaux. Le juge d'instruction Iman découvre que son arme a disparu, il soupçonne sa femme et ses filles, imposant des mesures draconiennes qui mettent à rude épreuve les liens familiaux”. Un long-métrage poignant, qui fait écho aux manifestations du mouvement Women, Life, Freedom déclenchées par la mort de Jina Mahsa Amini en septembre 2022.
Le film viole un grand nombre des règles islamistes, notamment celle qui oblige les femmes à porter le hijab. Les trois actrices principales ont d'ailleurs elles aussi fui le pays.
Les Graines du figuier sauvage fait suite à Un Homme intègre (2017) et Le Diable n’existe pas (2022), deux films respectivement présentés à Cannes et à Berlin, que le régime de Téhéran n’avait pas appréciés. D'ailleurs, c’est après la première d’Un Homme intègre que Rasoulof s’est officiellement vu retirer le droit de réaliser des films en Iran. Il avait réussi à contourner cette interdiction sur Le Diable n'existe pas en l'écrivant sous la forme de quatre histoires réalisées comme des courts-métrages dont il n'était pas techniquement le metteur en scène.
Cannes 2024 – Les Graines du figuier sauvage, l’évidence Rasoulof [critique]Le cinéaste a encore réussi à contourner la censure avec Graines du figuier sauvage. Pourtant, ce n’est pas pour cette insurrection cinématographique que l’artiste a été condamné (bien que cette bravade a sûrement dû influencer cette décision). Mohammad Rasoulof a été emprisonné en juillet 2022 pour avoir signé une pétition intitulée “Posez Vos Armes”, et demandant aux forces de l’ordre de modérer leurs réactions aux manifestations. Des problèmes de santé lui permettent de “profiter” d’une assignation à résidence à partir de janvier 2023, pendant laquelle il commence à concevoir son dernier film, tout en sachant qu’il pourrait retourner à Evin, cette prison tristement célèbre, à tout moment.
"Je savais que cette condamnation serait rendue publique tôt ou tard, car l'affaire était ouverte depuis un certain temps", a confié Rasoulof à The Hollywood Reporter, lors du Festival de Cannes. "Je me suis donc toujours demandé comment je réagirais lorsque j'apprendrais enfin que je suis condamné à une peine de prison."
Le 8 mai 2024, la sentence tombe : Mohammad Rasoulof est condamné à huit ans de prison, à une amende, à la confiscation de ses biens pour “collusion contre la sécurité nationale”. Des coups de fouet sont ajoutés après la découverte de bouteilles de vin sur sa propriété pendant une perquisition. Tout ça juste après que son film a été sélectionné en compétition officielle. Juste avant de devoir se rendre à Cannes pour le présenter.
C’est moins la prison que la censure qui effraie le réalisateur :
“Il était clair pour moi que ce qui comptait le plus maintenant était de continuer à faire des films et à raconter mes histoires", dit-il. "J'avais d'autres histoires à raconter et rien ne pouvait m'empêcher de les raconter.”
Il quitte l’Iran le 12 mai, deux jours avant le début du festival.
“Rétrospectivement, je pense que j'ai eu beaucoup de chance et de privilège d'aller en prison, car c'est là que j'ai rencontré des gens, des gens très utiles, qui m'ont aidé à passer la frontière", raconte-t-il. "Je n'aurais pas pu le faire autrement.”
Il se réfugie en Allemagne, parce qu’il a déjà résidé dans le pays. Mais aussi parce qu’une grosse partie des financements des Graines du figuier sauvage sont allemands.
Avant ça, le 13 mai, il publie une vidéo de la frontière montagneuse qu’il a dû traverser. Un long message accompagne cette publication, dans lequel il fait la distinction entre un “Iran géographique” et un “Iran culturel”.
“À partir d'aujourd'hui, je suis un résident de l'Iran culturel. Une terre sans frontières que des millions d'Iraniens ont construite avec une histoire et une culture anciennes dans tous les coins du monde. Et ils attendent impatiemment de vous enterrer vous et votre machine d'oppression dans les profondeurs de l'histoire. Alors comme un cercueil de cette terre, une nouvelle vie commencera. L'histoire de ce que j'ai traversé sur ce chemin reste pour un meilleur moment.”
Il écrit également devoir “vite terminer les dernières étapes techniques de post-production des Graines du figuier sauvage”. Sur la Croisette, il est accueilli en héros et son film, par une standing ovation et un Prix spécial du Jury (qui ne fait cependant pas oublier qu’il n’a pas eu cette Palme d’or que les bookmakers lui promettaient pourtant).
"Il m'est difficile de penser à retourner en Iran", déclare le réalisateur en conclusion de l’article du Hollywood Reporter. "[...] Mais j'ai l'habitude de créer en dépit des contraintes et des restrictions. Je continuerai à raconter mes histoires. Si je dois le faire avec des marionnettes ou des figurines d'argile, je ne m'arrêterai pas. [...] Bien sûr, [le régime] peut m'atteindre s'il le souhaite. J'essaie de ne pas y penser, mais en même temps, je n'oublierai jamais que la République islamique est un régime terroriste. [...] Je n'oublie pas qui est l'adversaire.”
Les Graines du figuier sauvage n'a pas encore de date de sortie française.
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