Brad Pitt joue un tueur glaçant pour Andrew Dominik.
Après un début totalement muet (erreur du projectionniste?), Killing them softly commence par une alternance d’obscurité et de lumière, de silences et de bribes de paroles. A la sortie du tunnel, les fragments de ce qui ressemble au discours d’investiture de Barack Obama s'assemblent pour situer le contexte : c'est la crise. L'image le confirme, en révélant une aire de parking immense et sinistrée, remplie de courants d'air. Ce pourrait être Detroit et ses banlieues désertées par la crise des subprimes.
"When a man comes around"
Andrew Dominik a adapté un roman des années 70 (L’art et la manière, de George Higgins) en le situant à l'époque où Obama se pose en régulateur d'un système parti en sucette à force de dérégulation. L’idée de la mafia comme microcosme de l’Amérique a toujours été au centre des romans de Higgins. Transposée aujourd'hui, l'hypothèse est plus pertinente que jamais.
Elle implique l'arrivée d'un homme (Brad Pitt), dont l'importance est surlignée par les paroles de Johnny Cash qui chante "When the man comes around". Cet homme, Cogan, est chargé de mettre de l'ordre dans les affaires de la pègre locale après le braquage d’un salon de jeu clandestin. Comme Obama, Cogan fait le ménage dans un monde qui a besoin d’auto régulation pour prospérer. C'est un schéma typiquement américain qui se retrouve jusque dans le cinéma, où la MPAA (Motion Picture Association of America) a mis en place son propre système de censure pour éviter qu’elle ne soit exercée par l’état.Toutes les actions de Cogan résonnent dans la réalité comme des échos aux intentions énoncées par Obama dans ses discours. On pourrait s’amuser à trouver dans le système financier (mais pas seulement) des équivalents à tous les dysfonctionnements pointés dans le film : un hold up sur un tripot ressemble à une OPA en bourse, et les possibles réactions en chaîne consécutives à ce genre d’opération peuvent être assimilées à une crise sytémique. Les hommes eux-mêmes sont corrompus de tous les côtés. James Gandolfini en donne un exemple terrible et hilarant, dans le rôle d’un tueur à gages incapacité par l’alcool et le sexe, tandis qu'un autre personnage est neutralisé par son addiction à l’héroïne.
L'Amérique, le crime, et le classicisme
Dominik a gardé l’esprit du roman, et trouvé un équilibre juste entre longues scènes superbement dialoguées et explosions de violence - qui, dans certains cas précis, illustrent le titre original avec l’ironie adéquate. L’humour discret mais puissant en fait une comédie certifiée, même si le noir prédomine, évoquant tout ce qui a été fait de plus réussi dans le genre : Point blank de John Boorman, Les amis d’Eddie Coyle de Peter Yates (adapté de George Higgins), Casino de Martin Scorsese et jusqu’aux Soprano, dont on retrouve au moins deux acteurs et pas mal de trucs, comme l’utilisation de la musique pour souligner les actions.Jusqu’ici à Cannes, deux des films les plus intéressants sur l’Amérique ont été réalisés par des Australiens, comme s’il fallait un regard extérieur pour rappeler quelques évidences. Lawless de John Hillcoat et Killing them softly d’Andrew Dominik établissent les mêmes liens entre l'Amérique et le crime, quelle que soit l’époque. Les deux films sont également boudés et incompris par le public cannois, conditionné à condamner toute forme de classicisme. C'est dommage parce que ce sont deux des meilleurs films vus jusqu'à présent.
Commentaires