Le réalisateur Florent Bernard emmène José Garcia, Charlotte Gainsbourg et leurs deux enfants dans un road trip doux et amer, qui porte un regard drôle et mélancolique sur des vies ordinaires.
Pour ceux qui se demandent : on rit pas mal cette année à l’Alpe d’Huez. Mais on rit triste, aussi. Prenez Nous, les Leroy : le premier film de Florent Bernard (héraut de Golden Moustache et co-présentateur du Floodcast) rassemble Charlotte Gainsbourg, José Garcia, Lyes Salem, Simon Astier et même Luis Rego en guests… Un casting qui sentait bon la gaudriole et les blagues qui déboitent. Elles sont bien là, mais il n'y pas que cela. Et à l’issue de la projo, sous la salve d’applaudissements, on entendait aussi les gorges se racler et quelques reniflements discrets…
Il est paradoxalement assez délicat de raconter cette comédie parce qu’on ne voudrait pas éventer les surprises douces ou douloureuses qui l’émaillent. Disons, pour aller vite, que le film est conçu comme une odyssée de la lose, un long voyage dans les souvenirs d’un couple et dans une France moyenne - très moyenne - à la recherche d’un bonheur perdu. À mesure que le Land Rover familial progresse sur les routes de Bourgogne, ce passé va s’effacer davantage…
Après avoir eu le droit à un message d’intro vidéo de Charlotte Gainsbourg (hilarante quand elle égrène ses comédies – « Prête-moi ta main avec Chabat, La Vie pour de vrai avec Dany Boon et Antichrist de Lars Von Trier – ben quoi c’est une comédie le film de Von Trier, non ? ») et une autre de José Garcia, tous les deux excusés pour cause d’agendas chargés, la projection commence. Nous les Leroy s’ouvre sur un prologue concept reprenant l'idée de Là-Haut. Florent Bernard raconte la vie d’un couple à travers les messages répondeurs qu’ils se sont laissés pendant 20 ans. Les blagues d’étudiants amoureux laissent place aux préoccupations des jeunes adultes, puis aux angoisses des jeunes parents et s’abolissent dans la routine usée du vieux couple. On récupère Sandrine Leroy (Gainsbourg) au moment où elle décide de se séparer de son mari. Évidemment, Christophe (Garcia) ne l’accepte pas si facilement, et il entraîne sa femme et ses deux enfants, Bastien et Loreleï, pour un week-end de la dernière chance. Objectif : revenir sur les lieux d’événements marquants de l’histoire de la famille et rallumer la flamme éteinte…
Baptiste Lecaplain, Lili Aubry, Florent Bernard, Hadrien Heaulme et Adrien Menielle à l'avant-première de Nous, les Leroy au festival de l'Alpe d'Huez.
La nostalgie et Sardou
On s’aperçoit assez vite que Christophe Leroy n’est pas Ulysse. Et si son voyage pour retrouver sa femme est une succession de "combats" (contre un caricaturiste arrogant ou un jeune cassos très énervé), ils sont loin d’être glorieux, le film devenant rapidement la chronique de son échec. Les lieux de son passé ont changé, les endroits débarrassés de la patine du souvenir paraissent gris et terne. Dans son portrait d’une France lose (que Christophe tente constamment de rendre flamboyante), dans son récit intimiste tour à tour saugrenu et pathétique, lyrique et ras du bitume, le cinéaste retrouve la fibre du Patrice Leconte de Tandem. Et si le road-movie provincial ne fait pas changer d’avis Sandrine, bien décidée à quitter le foyer, progressivement, la famille semble renaitre, les relations se ravivent…
C’est l'intelligence du film : le récit de cette séparation ne détaille pas le processus du divorce, mais au contraire la manière dont le père va tout faire pour ressouder la famille, sa tentative aussi désespérée que touchante de recoller les morceaux. Nous les Leroy prend parfois la dimension d’une faille ouverte dans l’édifice de la réalité, d’un renversement du monde sensible. Un des charmes du film tient d'ailleurs dans son aspect presque nostalgique. Tout semble vu à travers le regard des mômes et un parking de concessionnaires prend soudainement des allures de fêtes foraines, une bagarre de rue devient un combat de titans, et la bande-son déroule les classiques de Sardou... Pris en étau, Bastien et Loreleï sont obligés de jouer aux grands, d’assumer leurs responsabilités, face à Christophe et Sandrine qui se conduisent comme des gamins. Le portrait sans cliché des ados rend ce face-à-face encore plus réussi.
Nous, les Leroy ne serait rien sans l’abattage de Gainsbourg et Garcia. Elle émeut et amuse tour à tour dans le rôle de cette femme très émotive tandis que lui est fantastique dans le rôle de ce père trop présent mais très absent. La scène du restaurant où il se met à chanter du Sardou est une merveille où l'humour vache côtoie l'amertume totale. Au fond, le film pose la question : est-ce qu'il est si triste, ce couple si ordinaires et si émouvant ? Ont-ils moins réussi leur vie que tant d'autres ? Avec ses deux acteurs, Florent Bernard rend aussi un hommage mélancolique au cinéma italien rose-amer - celui de Scola, notamment. Pour un premier essai, c'est un peu la classe.
Nous, les Leroy, sortira au cinéma le 24 avril prochain.
Commentaires