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Tiens, Twister revient. Au pluriel, avec un « s », comme au bon vieux temps d’Aliens. Le film originel de Jan de Bont fut l’un des très gros succès de l’été 1996 (celui d’Independance Day, de Rock et de Mission : Impossible) et constitue aujourd’hui un intéressant artéfact du summer blockbuster spielbergo-catastrophe des années 90, avec son duo de stars de proximité (Helen Hunt et Bill Paxton), ses vaches tourbillonnant dans les airs, son Michael Crichton au scénario, et cette lumière « amblinesque » qui finissait toujours par percer à travers les nuages et permettait de voir se lever un vent d’espoir.
28 ans plus tard, le film catastrophe a perdu de son innocence pop-corn, et on ne peut plus produire un film de tornades géantes sans avoir en tête la multiplication d’événements climatiques extrêmes que le monde connaît aujourd’hui. Le « s » dans le titre souligne ça aussi – même si, en réalité, le film n’aborde le dérèglement climatique que du bout des lèvres. L’heure a beau être grave, il s’agit avant tout de délivrer un grand spectacle fédérateur, peut-être un peu moins insouciant que l’original, mais tout aussi programmatique : un crescendo de scènes de tornades plus spectaculaires les unes que les autres, dans un coin de campagne américaine envisagée comme un immense terrain de jeu, enrobé de drames humains visant à donner un peu de chair et de sens à l’affaire.
Le ton screwball et vaguement gonzo du premier film a donc disparu, et la comédie du remariage (Twister était avant tout le portrait d’un homme qui n’arrive pas à faire signer les papiers du divorce à sa femme) fait place à une histoire de deuil et de reconstruction. Traumatisée par une tornade qu’elle a observé d’un peu trop près, planquée à New York dans une station de météorologie à l’abri des vents mauvais, Kate (Daisy Edgar-Jones) est rappelée à son ancien métier de chasseuse de tornades, et dans son Oklahoma natal, par Javi (Anthony Ramos), un ancien collègue qui expérimente un nouveau système hi-tech lui permettant de mieux étudier ce phénomène dévastateur, et d’espérer en diminuer la dangerosité.
Sur place, Kate va devoir faire face aux sales méthodes et au charme ravageur d’un « bouseux youtubeur », Tyler Owens, cowboy frimeur qui engrange des millions de vues en s’approchant toujours plus près de tornades qu’il fait mine de dompter comme des chevaux sauvages, pour la plus grande joie de ses abonnés. Ce « tornado wrangler » est joué par Glen Powell, second rôle de Top Gun : Maverick en voie de starisation expresse depuis Tout sauf toi et le Hit Man de Richard Linklater, très bon dans cet emploi de redneck moins crétin qu’il n’en a l’air, et bien assorti à Edgar-Jones dans un tandem dans la tradition d’African Queen ou d’A la poursuite du diamant vert – l’aventurier bourrin et l’intello collet monté – ici légèrement réinventée.
Ce qui va arriver à Kate et Tyler est aussi prévisible que le reste du film, mais ce n’est pas forcément un reproche. Certains films tirent leur gloire de la façon dont ils respectent une formule, et Twisters est de ceux-là. Dépêché sur son premier blockbuster, le réalisateur Lee Isaac Chung, repéré grâce au succès du joli drame indé à saveur autobio Minari – et donc pas forcément le profil qu’on attendait aux manettes de ce genre de film – réussit tout, sans génie, certes, mais de façon pro et carrée : les portraits de personnages, les scènes d’action qui décoiffent, les yeux levés vers les cieux immenses d’Oklahoma, l’atmosphère sympathiquement country-rock, avec échos banjo dans la bande-son, au service de la peinture d’une Amérique divisée, certes, mais au fond pas si difficile à réconcilier que ça.
Le fait que l’option legacyquel ait été écartée (Daisy Edgar-Jones et Glen Powell ne jouent pas les enfants, ni les neveux, nièces ou descendants quelconques d’Helen Hunt et Bill Paxton) épargne au film tout un tas de circonvolutions nostalgiques inutiles. Il n’y a pas ici de reliques-doudou à honorer, pas de fan-service faisandé. On regrettera juste que la galerie de personnages secondaires (Katy « Loves Lies Bleeding » O’Brian, Sasha « American Honey » Lane, et le futur Superman David Corenswet en antagoniste tête de con) soient un peu sacrifiés au profit du couple star – Jan de Bont était plus généreux avec ses acteurs. Mais même la scène dans un cinéma (en référence à une séquence du précédent film dans un drive-in où passait Shining) parvient à ne pas sonner lourdement méta, simplement comme une question maligne, posée en passant : que peut le cinéma face à une nature déchaînée ? Avant de réfléchir à la réponse, commencez par vous agripper à votre fauteuil.