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Le dernier film de Tery Gilliam, adapté d'un roman de Mitch Cullin, séduit par sa poésie monstre et ses nombreuses prouesses visuelles. Tideland ne pêche que par manque de structure et de point de vue.- Lire la chronique de Tideland, le livre. - Tideland de Terry Gilliam - Discutez de Tideland, le dernier Gilliam, le film sur les forums de Flu.A plusieurs égards, Tideland est une bonne nouvelle : d'abord parce que Terry Gilliam a réussi à monter un film presque sans encombres, ce qui en soi est un événement. Après l'avorté Don Quichotte et son génialissime "making of" Lost in la mancha, après un Frères Grimm qui mit six mois de plus que prévu, le réalisateur de Brazil - qui déjà à l'époque fut refusé par ses producteurs initiaux - semble renaître. C'est la seconde bonne nouvelle : en renouant avec sa bonne vieille thématique de l'imaginaire-refuge, Gilliam retrouve une partie de ses marques, aux premiers rangs desquelles la poésie de ses plans obliques, et son utilisation inspirée des nombreuses possibilités offertes de la lumière. Le roman de Mitch Cullin, qu'il adapte ici, lui était d'ailleurs taillé sur mesure. En racontant le voyage imaginaire mi-psychédélique mi-gothique d'une adolescente esseulée, Cullin a livré presque clé en mains, un scénario idoine au cinéaste. Très visuel - et vraisemblablement lui-même influencé par le cinéma de Gilliam - le roman permet au réalisateur les envolées lyriques et débridées, la poésie atmosphérique et angoissée qui sourd de la plupart de ses films. Car Tideland est comme un "faux-ami" d'Alice au Pays des Merveilles. Jeliza, l'adolescente héroïne, ne cherche pas tant à fuir la réalité par ennui que par peur de la folie qui semble s'être emparée des êtres réels autour d'elle.Un manque d'empathieSon père, ex-rocker héroïnomane - incarné par le génial Jeff Bridges, eh oui, c'est la troisième bonne nouvelle du film - sa mère qui pleure indifféremment de colère ou de tristesse et la galerie de freaks qui peuplent les environs du nouveau domicile familial, le réel de la jeune fille n'est pas un environnement fiable. A côté du délire ambiant, ses rêves semblent étrangement apaisés- même quand on y chasse le requin monstre ou l'écureuil guerrier. En n'utilisant pas - par manque de fric - la batterie ordinaire des effets spéciaux hollywoodiens, Gilliam parvient à rendre incroyablement proche l'imaginaire de Jeliza. Sur ce plan là au moins, le cinéaste a réussi son coup et prend plaisir à filmer des scènes restées hors-champ dans le livre, comme celle, superbe, où la ferme familiale est engloutie par les eaux. En revanche, la partie réelle du film déçoit précisément parce qu'elle est traitée de la même manière. Jamais Gilliam ne parvient à y provoquer l'empathie suffisante envers Jeliza. L'erreur principale du film - à notre sens car le romancier n'est pas de cet avis (voir interview)- est peut-être de ne pas avoir conservé Jeliza comme narratrice de son histoire. Or la réussite principale du roman est justement la distance créée par l'adolescente avec ses propres souvenirs, comme si elle tenait bien en laisse l'horreur réelle ou fantasmée. En refusant la voix off - qui saurait l'en blamer ? - Gilliam s'est aussi privé d'un point de vue sans parvenir à proposer une nouvelle approche. Si bien qu'en moins d'une heure, on décroche de l'histoire pour s'en tenir au plaisir de voir une succession poétique de saynètes. Etrangement, le film jette a posteriori un éclairage cru sur le roman de Cullin : un livre à la structure faible mais sauvée (largement) par une écriture virtuose. Décidément ces deux-là étaient faits pour se rencontrer.Tideland Un film de Terry Gilliam Avec Jodelle Ferland, Janet McTeer, Brendan Fletcher,Jennifer Tilly et Jeff Bridges. En salles le mercredi 28 juin.Illustrations tirées du film.Lire la chronique de Tideland le livre Sur Flu : - Entretien avec Mitch Cullin - Voyage au Tideland, en textes et images. - Discutez de Tideland le film de T. Gilliam, sur les forums de Flu. -