- Fluctuat
Véritable machine à Oscars pour Sean Penn, The Assassination of Richard Nixon se veut un film au caractère ambigu. Fiction politisante plus que politique d'un après 09/11 qui n'en finit pas de faire couler de l'encre et du sang, le film de Niels Muller convainc plus lorsqu'il filme la dérive vers la folie d'un homme que d'une société.
En prenant le parti de montrer le destin solitaire d'un homme américain, de classe et d'un âge moyens dérivant lentement mais sûrement vers la folie, The Assassination of Richard Nixon comporte quelques points communs avec Chute Libre, la fiction tendance droite de Joel Schumacher. Sauf que le film de Niels Muller en serait un peu le pendant, une fiction démocrate, portée à bout de bras par Sean Penn, considérablement investi dans un engagement qui de la vie à l'écran est omniprésent. Si bien investi que le film repose entièrement sur les épaules du comédien et que le réalisateur, dont c'est les premières armes, finit un peu trop par s'en contenter.Sean Penn incarne donc le rôle de Samuel Bick, employé d'une entreprise de vente de matériel de bureau. Sa vie familiale est désastreuse, sa femme (Naomi Watts) est lasse de sa présence et il n'a qu'un ami (Don Cheadle). Personnage idéaliste, naïf, introverti, ayant peu confiance en lui, il est obsédé par la vérité et par conséquent le mensonge. La fiction prend comme toile de fond le scandale du Watergate, égrené sporadiquement par la présence régulière d'écrans de télévision. Pour Sam, Nixon est ainsi une figure empirique, emblématique du mensonge qui ronge son pays et qu'il rejette maladivement. Petit à petit, obsédé par la transparence des rapports humains et économiques, il va jusqu'à tomber dans une névrose irréversible le poussant à tenter une délirante tentative d'assassinat sur Nixon.The Assassination of Richard Nixon n'est pas sans défauts. Véritable écueil pour une performance de Sean Penn, il multiplie les moments où le comédien prend le film complètement en charge. Le jeu de Penn, trop souvent « actor studioïsé » ailleurs, révèle malgré tout ici des passages intéressants. Sa manière de traduire la dérive psychologique de son personnage montre une certaine justesse. Pour quelques moments contrariés, d'explosion intérieure, de catastrophe émotive (contacter sa femme au téléphone après la demande de divorce), Penn arrive à faire naître sur son visage une fêlure banale, commune, mais justement atrocement familière. Aussi, Penn arrive-t-il à créer un sentiment ambigu dont le film atteste le pari dangereux : comment en effet susciter la gêne, l'embarras, la lassitude sans lasser le spectateur ? Sam est un idéaliste benêt, maladif, partout où il va il provoque un malaise. S'attacher à lui est aussi difficile pour ses proches que pour nous. Aimer son personnage, comparaître avec lui dans sa solitude et sa folie demandent un abandon morale et psychologique difficile. On est loin de Taxi Driver. Pour Muller, dont la mise en scène sert surtout à resserrer l'espace en minimisant les lieux pratiqués par Sam pour évoquer sa solitude, il nous faut suivre presque autant l'acteur que le personnage. Toutefois, malgré une certaine absence de point de vue et d'originalité dans sa construction, le réalisateur arrive à créer une gêne bien réelle. On se sent souvent agacé par tant d'idiotie de la part du personnage, comme de la fiction et de sa réception, que la surcharge sentimentaliste de Penn renforce. C'est bien de cette gêne que le film tire une certaine force, qu'il met vraiment mal à l'aise et sait dessiner avec rigueur la dépression de son personnage.Reste, incompréhensible sinon gratuite, la structure narrative en flash back du film. Un effet devenu banal aujourd'hui, qui a probablement été pensé au montage, de manière à faire oublier une certaine pauvreté dramaturgique de la mise en scène. Dommage, car si le film recèle quelques moments de paranoïa ou de psychose convaincants, il rate un peu sa cible. Si le film de Muller veut en effet nous placer dans le même fauteuil éjectable que celui sur lequel est assis son personnage, il lui est difficile d'arriver à nous remettre en question. Outrageusement post 09/11 et manifestement démocrate, le film cherche à se donner une légitimité sociopolitique au présent. Seulement, problème, s'il est beaucoup question de mensonge dans l'Amérique d'aujourd'hui, la filiation, ou seulement l'écho, avec l'histoire qui nous est contée ici paraîssent forcés et plus simplement grossiers. L'Amérique de Nixon n'est pas celle de Bush fils, et ramener les mensonges de l'un à ceux de l'autre est d'une démagogie tout aussi frauduleuse que celle que l'aurteur cherche à incriminer.Certes, le film se concentre sur un homme qui plonge dans la folie, mais ce qu'il cherche à dire, c'est que justement cette folie découle de l'économie libérale américaine : en résumé, celle-ci réduirait l'individu à un esclavage complice. Ainsi de la fin de Sam qui est relatée par une succession d'écrans télés situés dans chacun des espaces où travaillent les proches du personnage. Sa mort, noyée dans un océan d'informations, échappe complètement à ses proches, eux qui sont sensés, connaissent les réalités, savent qu'il faut garder son job, même pourri, plier l'échine, jusqu'à subir des insultes racistes. La vie est injuste, mais c'est ainsi, c'est l'Amérique Autant de raccourcis, même avec la fausse ambiguïté dans laquelle voudrait nous faire sombrer la folie propre au personnage, laissent sceptique. Niels Muller veut nous mettre face à un constat très froid et réflexif qui masque une certaine vacuité, un manque de proposition tangible propice à véritablement fonder une réflexion solide sur l'Amérique d'aujourd'hui. La dérive d'un homme pourquoi pas, celle d'une société beaucoup moins.The Assassination of Richard Nixon
Réal. : Niels Muller.
U.S.A, 2004, 95 mn
Avec Sean Penn, Naomi Watts, Don Cheadle...
Sortie en salle le 27 octobre 2004.[Illustration : © UFD]
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The Assassination Of Richard Nixon