Première
par Thomas Baurez
Un corps raide, posé sur un catafalque, en tenue d’apparat. La violence et la peur contenues derrière les traits figés de ce beau visage sont atténuées par le décorum funéraire. Celui-ci retire jusqu’à l’identité du défunt. L’enjeu du cinéaste Rachid Hami (La Mélodie) est de redonner un nom à ce jeune homme aux paupières closes, de raconter son histoire. Une histoire, « vraie », tragique, singulière. Aïssa, 23 ans, jeune français d’origine algérienne (Shaïn Boumedine, révélé par Mektoub My Love), passé par Science-Po, meurt noyé lors d’une cérémonie d’intégration à la prestigieuse école militaire Saint-Cyr. Le film part de là. Aïssa pour les besoins de la fiction, s’appelait en réalité Jallal. C’était le frère de Rachid Hami. Pour la France, n’est pas une film-enquête visant à dénoncer une institution militaire viciée de l’intérieur, mais de réfléchir à la notion même d’engagement et – osons le mot – d’égalité. Jallal aura-t-il le droit à des honneurs dans la cour des Invalides ou juste à une cérémonie en catimini dans un cimetière de Bobigny ? Ismaël, son grand-frère (Karim Leklou) décide de se battre pour sauver l’honneur de son cadet dont il est le parfait contretype : aussi rugueux et sauvage qu’Aïssa était doux. Leklou porte sur lui et en lui, toute la tension du film. Regard sombre, corps solide à l’allure faussement incertaine, il avance comme un animal indompté. Pour la France, c’est un drame fraternel, où pour enfin se retrouver il faut être un peu « ailleurs » (les magnifiques séquences à Tapeï), pris dans les rets de puissants flashbacks.