Après Pour la France et Goutte d’or, il impressionne une fois encore en soldat revenu de la guerre de 14 amnésique que deux femmes se disputent dans C’est mon homme. Rencontre.
Dans C’est mon homme, le premier long métrage de Guillaume Bureau, vous incarnez un homme de retour de la guerre de 14-18 et semblant ne plus avoir de souvenir de son passé. C’est un rôle qu’on vous a proposé directement ?
Karim Leklou : Non, je suis passé par un processus classique de casting. Je n’avais alors encore eu le scénario en main, je savais juste qu’il y était question d’une histoire d’amnésie. Et ces auditions conduites par Guillaume et sa directrice de casting Adelaïde Mauverney ont été passionnantes. De vraies séances de travail et de recherche à partir de deux scènes écrites pour l’occasion et qui ne figurent pas dans le film : un interrogatoire autour de l’identité de ce personnage et une déclaration d’amour à une femme, ce que je n’avais jamais eu l’occasion de jouer jusque là. Dans ces scènes, j’ai eu spontanément envie de distiller une part d’ambiguïté, en disant quelques mots en allemand par exemple, pour rajouter du trouble au trouble, pour laisser des pistes ouvertes permettant de se demander par exemple si cet homme joue de son amnésie par exemple. Ca m’intéressait de travailler là- dessus comme de pouvoir m’essayer pour la première fois à un registre romantique classique. J’ai adoré ce moment qui aurait pu se suffire à lui- même. Mais j’ai eu en plus la chance que Guillaume me choisisse !
Qu’est ce qui vous frappe alors à la première lecture de son scénario ?
Comme toujours, quand je lis un scénario dans lequel je dois jouer, je ne me projette pas dans le rôle. J’essaie d’avoir le plus de recul possible par rapport au récit. De profiter au maximum du plaisir de la lecture. Du coup je le vis comme un page turner à me demander laquelle de ces deux femmes qui prétendent reconnaître cet homme comme le leur dit vrai mais aussi si cet homme souffre vraiment d’amnésie ou en joue. Pour moi, C’est mon homme est un thriller amoureux s’appuyant sur la modernité de ses deux personnages féminins très glamour, très charismatiques, très émancipées qui se battent pour cet homme vu comme un objet de désir, alors que c’est souvent l’inverse. Guillaume m’a expliqué qu’il s’est inspiré d’une pièce de théâtre mais aussi de deux faits divers. Ce qui l’a aidé forcément à ancrer son film dans la réalité de cette époque, la fin de la première guerre mondiale, où la science n’étant pas aussi avancée qu’aujourd’hui, l’identité puisse être ramenée à une histoire de croyance
Comment commencez- vous alors à construire votre personnage ?
Avec Guillaume, on a travaillé sur l’immédiateté. Avec cette idée de ne pas chercher - comme pour la plupart des rôles - à construire un background à ce personnage. A jouer aussi l’ambiguïté tout au long du récit, à créer en permanence un trouble autour de lui. Est- il vraiment amnésique ou un imposteur ? J’aime l’idée que le spectateur puisse douter jusqu’au bout et même une fois sorti de la salle ! Je devais en fait créer une page blanche sur laquelle le public allait pouvoir projeter des choses. En fait, j’ai joué deux rôles en un, en m’efforçant de garder intacte la cohérence de l’ensemble et en m’appuyant sur des partenaires aussi généreuses et impliquées que Leïla (Bekhti) et Louise (Bourgoin).
Qu’est ce qui vous a particulièrement frappé chez Guillaume Bureau ?
La tenue de sa mise scène qui donne ce résultat tout en pudeur pour une histoire d’amour vraiment hors du commun. Sa manière de ne pas surplomber le spectateur, de ne pas lui dire ce qu’il doit penser.
En quelques semaines, on vient de vous voir dans Pour la France de Rachid Hami, Goutte d’or de Clément Cogitore. Le 3 mai, vous serez à l’affiche de Temps mort, le premier long métrage de Eve Duchemin. Et ce qui frappe dans cette accumulation c’est votre capacité à ne jamais vous répéter tant dans les univers que vous arpentez que dans vos styles de composition de vos personnages. Comment choisissez- vous vos scénarios ? D’abord dans l’obsession de ne pas vous répéter ?
Je vais assez basiquement vers des choses que j’aime et en effet, des scénarios qui me permettent de voyager dans des univers différents. Avec Rachid Hami, j’ai eu la chance avec Pour la France d’évoluer dans un univers proche de la tragédie grecque à travers cette relation entre deux frères. Avec Goutte d’or, j’ai pu plonger dans le Paris mystique grâce à Clément Cogitore qui pose sur cette ville un regard qu’on a peu l’occasion de voir dans le cinéma français. Dans Temps mort, j’ai pu incarner un détenu à qui on accorde une permission de 3 jours pendant lesquels on se demande sans cesse si sa place n’est pas plus dans une unité psychiatrique qu’en prison. Ce que j’aime dans le cinéma, c’est le voyage ! Après, c’est le calendrier des sorties qui peut donner un sentiment d’accumulation. Mais, en vrai, mon rythme de tournage est bien plus tranquille. L’année dernière, par exemple, je n’ai fait qu’un film, Vincent va mourir de Stephan Castang avec une actrice que j’admire, Vimala Pons. Un film de genre qui raconte quelque chose de fort sur la société française d’aujourd’hui. L’histoire d’un homme que tout le monde veut tuer sans que personne ne sache pourquoi et qui rencontre une jeune femme avec qui il va essayer de construire un couple dans ce monde violent. Là encore, j’ai eu un coup de foudre immédiat pour ce projet.
GOUTTE D'OR: UN FILM IMPRESSIONNANT DE BOUT EN BOUT [CRITIQUE=Si tout s’accélère aujourd’hui, cela fait déjà 14 ans et votre première apparition dans Un prophète de Jacques Audiard que vous arpentez les plateaux de cinéma. En quoi votre plaisir de jouer a évolué au fil du temps ?
Ce métier me plaît de plus en plus. Car plus j’avance plus je m’aperçois que je ne connais rien et que je peux acquérir un nombre incroyable de connaissances à travers les films et les rôles qu’on me propose. Il n’y a pas d’âge pour apprendre, je le vérifie à chaque tournage. Et ma soif d’apprendre, ma soif de ma connaissance de l’autre m’entraînent dans des sphères que je n’aurais jamais imaginé arpenter. Là, par exemple, je vais retravailler avec Rachid Hami à Taïwan dans un court métrage pour une version d’un Paris je t’aime à Taipei, où il est question d’avortement. Ce métier me permet de mieux comprendre l’autre. Je me sens comme un vrai privilégié. Je ne vois pas le temps passer.
C’est mon homme. De Guillaume Bureau. Avec Karim Leklou, Leïla Bekhti, Louise Bourgoin… Durée : 1h27
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