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D'élastique à cosmique à orgasmique, il n'y a qu'une détonation, celle de la dernière seconde de la Terre de la folie.
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Une heure et demie durant, il arpente le terrain de long en large, du nord (Sisteron) au sud (Manosque), et d’ouest (Apt) en est (Digne), rencontre l’autochtone, fait témoigner le voisin ou la sœur, et révèle au spectateur sur le cul les causes et les conséquences inquiétantes de la folie meurtrière dans cette région célèbre pour l’affaire Dominici (crime fameux sur lequel Welles inacheva un documentaire). Il en profite aussi pour décrire la situation hospitalière psychiatrique dans une région reculée. Mais le petit révèle toujours le grand. Et nous savons bien, nous, que derrière le rire microgéographique de Moullet se tient un moraliste macrogéographique : cette terre (avec une minuscule) terrifiante, où la violence et la folie font loi, où l’irrationnel et le mal règnent, c’est bien entendu notre Terre (avec une majuscule).
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La Terre de la folie se pose en documentaire étrange autour d'un sujet qui ne tient pas debout. Cet humour pince-sans-rire est savoureux, la mise en scène exemplaire, mais l'idée d'un film dérangé parce que issu d'un cerveau dérangé tourne vite à la bonne blague d'intello. Certes, ce sont les plus étonnantes d'un point de vue artistique, mais pas les plus drôles.
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Le documentaire est quelque peu bordélique, mais le sujet, si grave soit-il, fait l'objet d'un traitement original et humoristique. On se croirait perdu dans la quatrième dimension.
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Des réponses sont amorcées. Des pistes et idée saugrenues (« ceux là ne sont pas dangereux, ils ne tuent que des membres de leur famille ») lancées à la pelle. Mais au fond, Moullet l'empirique s'en fiche un peu, des réponses. Comme il le dit lui-même, il n'est pas King Vidor. Ce qui l'intéresse, lui, c'est de revenir chez lui, dans sa région des Alpes basses, et de filmer les gens. Leur débit de parole. Leur façon de raconter une histoire terrible comme s'ils parlaient du beau temps. La nature. L'absurdité de tout ça. Et, au milieu, Luc Moullet, dont se dessine ici un irrésistible autoportrait, parcellaire et surréaliste, en forme de point d'interrogation.
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Moullet le sait : son principal atout, c'est lui ! Plutôt que de les représenter, il préfère, donc, raconter ses histoires macabres, tellement insolites qu'elles en deviennent comiques. Et sa voix - étrange, fluette, traînante - crée un décalage irrésistible avec l'horreur de son propos. Notamment lorsqu'il explique l'engrenage fatal qui a conduit « l'arrière-petit-neveu du bisaïeul de [sa] trisaïeule » à massacrer trois personnes à coups de pioche parce qu'on avait déplacé sa chèvre de 10 mètres... Au passage, La Terre de la folie reprend les tics télévisuels des émissions de faits divers pour mieux les moquer. Les personnes interrogées semblent encore moins « normales » que les actes épouvantables qu'elles décrivent. Et quand Moullet décide de flouter ses « témoins », il ne pixellise pas leur visage, mais leur nom... On pense souvent à une parodie rurale de Faites entrer l'accusé, dans laquelle Christophe Hondelatte et son manteau de cuir auraient été remplacés par un professeur de pataphysique en short de randonneur. On vous avait prévenu : Luc Moullet est complètement fou.