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Au Havre, la famille Stern voit débarquer de New York le cousin Clovis, censé avoir des prédispositions pour le chant... Fable sur la religion, la filiation, le souvenir et la lisière ténue entre joie et tristesse, ce premier long d'un vétéran du moyen métrage expérimental tente d'emprunter une voie peu balisée du cinéma français, tragique et burlesque à la fois.
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Grave et drôle à la fois, El Cantor dessine les contours d'un cinéma libre et personnel, porté par ses acteurs, les formidables Louis Rego et Lou Castel, sortes de Laurel et Hardi égarés au Havre. Histoire de famille et d'Histoire, ce film propose comme acte de mémoire un théâtre joyeux et barré. Insolite.
Derrière ce titre à consonance hispanique se cache en fait le chanteur traditionnel yiddish, porteur d'une tradition ancestrale. Tombés un peu en désuétude, les cantors sont pourtant toujours présents, sous la forme de vinyls poussiéreux chez les spécialistes de la tradition juive ou pour les mélomanes restés émerveillés par ces voix empreintes d'un lyrisme mélancolique. Clovis (le toujours sautillant et sauvage Lou Castel) se trouve être le petit fils d'un cantor. Si son père a hérité de ce précieux savoir, il est le premier à ne pas avoir été initié. De cette déchirure primitive, familiale et plus largement communautaire, Clovis a, on l'imagine, beaucoup souffert, quittant sa famille pour émigrer aux Etats-Unis. Lorsque, la cinquantaine passée, il revient en France pour renouer avec son géniteur, il bouleverse la vie tranquille de son cousin William (Louis Rego), dentiste au Havre et époux de la belle Elisabeth, qui vient tout juste de perdre son père.Rapport problématique à la famille, poids des traditions, et difficulté encore plus grande à vouloir les occulter, El Cantor aborde tous ces sujets sans jamais verser du côté trop attendu du psychanalitique, pour choisir de nous faire partager la folie légère de ces personnages. Comme autant de grands enfants perdus dans leur double histoire, familiale et historique, c'est sur un mode définitivement fantaisiste que Joseph Morder aborde le sujet, grave et profond, de la mémoire juive. Tout d'abord hostile à cet encombrant cousin d'Amérique, Elisabeth sera peut-être celle qui comprendra le mieux la détresse silencieuse de ce fils en quête de père, puisqu'elle même doit apprendre à faire le deuil du sien. Dans une très belle scène en bord de mer, alors qu'elle lui ouvre enfin son coeur, en lui proposant de l'appeler Liza, il lui répond : "je préfère Elizabeth, c'est plus intime". Ici ce joue la belle profondeur du film, dans cet espace qu'il crée pour faire exister les histoires intimes et personnelles au sein de la grande H.Lieu lui aussi marqué par l'Histoire et formidable décor de cinéma à redécouvrir, la ville du Havre devient ainsi un terrain de jeu inattendu, où les deux cousins renouent contact à travers ces nuits sans mémoire de l'ivresse. Dans le cabaret qu'ils fréquentent, le globe trotter Clovis trouve son alter ego féminin, la très fassbinderienne chanteuse Tania. Du chant traditionnel au chant festif, ce Havre-monde, le petit théâtre d'El Cantor, livre ses personnages à l'expérience du doute, mais leur offre une planche de salut, par cet esprit quasi burlesque qui imprègne le film.Drôle d'objet que ce premier long métrage de fiction d'un cinéaste qui a beaucoup oeuvré dans le documentaire et le court métrage protéiforme. Entouré d'un casting de vagabonds haut de gamme, il dessine ici un univers en fragile équilibre, funambule, qui avance, trébuche parfois, au dessus d'une question sans fond. Comment vit-on avec son passé ? En chantant, pardi !El Cantor
Un film de Joseph Morder
France - 2005, 1h30
Avec : Luis Rego, Lou Castel, Françoise Michaud.
Sortie en France : 15 mars 2006[Illustrations : © Shellac]
Sur le web:
- le site du film