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Regard hagard, sourire diabolique, éclats de rires fous à lier : l'acteur semble littéralement possédé, livrant une performance absolument jouissive qui risque de rentrer dans les annales de la démence. Herzog, pas du genre à se faire prier dès qu'il s'agit de lâcher la bride, emballe un film au diapason de cette prestation cinglée. Bad Lieutenant s'adresse évidemment à un public averti. Si vous vous sentez concernés, le film procure un tel plaisir coupable que ça en devient limite indécent.
Toutes les critiques de Bad Lieutenant : escale à La Nouvelle-Orléans
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Les critiques de la Presse
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Quand à Cage, on parlera pour une fois de l’acteur. Il trouve en Herzog le bon dompteur pour dresser un jeu borderline, déconnecté des productions mainstream qu’il hante. Voûté non par la culpabilité mais parce qu’il a très mal au dos, comme engoncé dans des vêtements trop grands, son personnage est à la fois Nosferatu, l’inspecteur Harry et Droopy. Cette bipolarité en roue libre, devenue sac à tics chez Cage, renvoie ici aux performances de l’acteur et ennemi favori d’Herzog, Klaus Kinski : elle sert un film drôlement délétère (grande scène où Cage torture une dame âgée), où comme dans Stroszek il est aussi question de danse dans un passage mémorable. Et plus largement de celle, façon transe, entre Cage et Herzog. Le terme clinique existe : “folie à deux”.
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Dans les yeux hagards de Nicolas Cage - au meilleur de sa paranoïa depuis A tombeau ouvert -, la caméra elle-même démente de Herzog filme les nuances complètes de cet arc-en-ciel de la déraison, qui court de la loufoquerie bouffonne à la démence lourde, et ravage tout sur son passage. (...) trajet audacieux, qui rappelle à l’esprit les tonalités de ses derniers essais en date, plus documentaires que fictionnels : filmer un fou dans cette cage de Louisiane, c’est aussi filmer Nicolas Cage dans son propre milieu, et lui permettre ainsi de toucher à un niveau d’aisance et un sentiment de toute-puissance qu’il n’a que rarement atteint dans sa carrière. Autour de lui, le monde semble fait de marionnettes, et l’on sent que le plaisir qui s’installe est bien celui, comme au temps d’Aguirre, la colère de Dieu, d’une relation d’amour et de haine entre un cinéaste et son acteur. Tout le long, c’est un jeu de voyeur et de vu entre l’objectif, le spectateur et le comédien, si vertigineux qu’on le dirait pris dans la même logique de spirale que le personnage du « bad lieutenant », voué à la défonce et au délire. Si l’on ajoute à ce ballet macabre les couleurs jazzy de la Nouvelle-Orléans nocturne et la très belle partition originale de Mark Isham, le tableau est complet : pour ce genre d’escale, on veut bien rester un peu plus sur le bateau.
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Et puis un moment d'anthologie : la géniale séquence des iguanes, où l'on apprend, d'un dialogue sec, que les reptiles, cadrés nets au premier plan devant Nicolas Cage, ne sont que pures hallucinations de ce dernier. Flottement gêné, les autres flics passent à autre chose, Cage fronce les sourcils, les iguanes restent là : ce plan qu'on aurait juré à la troisième personne lui appartient exclusivement. Puis Herzog envoie la musique, zoom avant toute sur l'une des bébêtes. Toute la tension du film, et plus largement la sève du cinéma d'Herzog, semble contenue dans ce regard de prédateur traqué. Grizzly man amorçait un retour au sommet de pervers Werner, Bad lieutenant le certifie en tous points : le dangereux routard des seventies est en pleine bourre.
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Amarré à la Nouvelle-Orléans, Bad Lieutenant prend des airs de néo noir un peu corsaire et halluciné sinon vaudou : scène délirante qu'aurait pu signer Harmony Korine où l'âme d'un mort danse un hip hop cajun improbable. Il s'installe dans un port où ces populations venues d'outre-mer et ces paysages sauvages, presque équatoriaux, sonnent à la fois comme un appel du large et un retour au source ; tout au long d'un Mississipi servant de lente coulée en arrière plan. Surtout, le film prend appui sur un genre, articulant méticuleusement ses règles, repères et motifs, tout en lui en insufflant un autre, venu du cinéma voyageur d'Herzog. Ce héros, flic pourri tangent moins cow boy que flibustier, jouant lui aussi des frontières comme ses ancêtres voguaient sur les océans en faisant fi des limites terrestres ou de la loi. Il est avant tout, dans ses attitudes extrêmes, sous les traits d'un Nicolas Cage pas mieux depuis Snake Eyes, une figure libre, un vrai aventurier, avec un sens de la justice et morale non univoque. Ainsi resitué dans un nouvel espace, avec des perspectives ouvertes, presque oniriques et à la fois ancrées dans son paysage local, ce Bad Lieutenant par Werner Herzog prend une allure folle. Un vrai trésor, à l'image de celui, d'enfance, de son personnage.
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Le réalisateur d'Aguirre, la colère de dieu et de Fitzcarraldo est arrivé à rendre encore plus déjanté son personnage de policier tapé que ne l'était Harvey Keitel dans le Ferarra et pourtant, dans la rubrique «camisole mon amie», le bon Harvey se posait un peu là! «Hallucinée» est sans doute le mot qui définit le mieux la performance de Cage, tellement extrême qu'elle en devient hypnotisante. Il est vrai qu'on a moins faim après avoir vu une mamie agoniser parce que le héros lui a enlevé son respirateur pour la forcer à coopérer. Les âmes sensibles et les amoureux d'un cinéma sage ne passeront pas par ce polar excessif et fascinant sis dans La Nouvelle-Orléans de l'après-Katrina. Ceux qui oseront pénétrer dans son univers s'offriront des moments de francs délires et de vrais frissons.
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Herzog noue les fils de ce récit avec une franche désinvolture, poussant cette tendance du film noir bien au-delà des limites autorisées.
Cette distanciation s'opère au profit de l'atmosphère. Visqueuse comme La Nouvelle-Orléans, ville abandonnée aux miasmes jaunâtres de la misère et de la déliquescence, en proie à la vengeance de la nature, à l'indifférence des hommes, à la malédiction des rampants (serpents, lézards et autres alligators filmés avec une grande joie, au point de voler la vedette aux personnages).
Corrompue comme McDonagh, auquel Nicolas Cage prête la silhouette pantelante et histrionesque d'un acteur décavé, défiguré par les rictus, émacié par la disgrâce. -
Doux dingue notoire, Herzog façonne le "mauvais lieutenant" à son image grâce à l'acteur Nicolas Cage. Le personnage est toujours aussi déjanté mais il est également drôle. Hélas, cet autoportrait aux meilleures intentions pédale dans la semoule quand il s'agit de se colleter avec l'intrigue policière.
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Seuls points communs entre les deux films : les addictions multiples du héros (de la cocaïne aux paris sportifs) et ses soucis d'argent. Pour le reste, Herzog a fait le ménage : l'action quitte l'enfer urbain et nocturne de Manhattan pour le décor ensoleillé de la Louisiane. Et le mysticisme exacerbé de Ferrara a fait place à un traitement décalé, voire parodique, du film noir : le récit perd en tension ce qu'il gagne en humour. Entre deux scènes d'enquête, tournées avec indolence, l'auteur de Fitzcarraldo réussit quelques visions hallucinées dont il a le secret ; un accident de voiture provoqué par un alligator (!) et un très gros plan sur un iguane, aux sons d'un blues... Mais, au concours du « qui sera le plus délirant », Herzog est battu par Nicolas Cage à qui il semble avoir donné carte (et poudre !) blanche. L'acteur s'amuse à surjouer la défonce au crack ou le sadisme d'un tortionnaire, plus burlesque qu'inquiétant.
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Pour explorer les recoins les plus sombres de l’âme humaine, Ferrara avait opté pour la provocation. Herzog, lui, choisit de détourner les codes du polar hollywoodien et impose une atmosphère décalée, irrévérencieuse et largement hallucinée. Une musique blues jazzy accompagne des scènes d’action violentes, l’âme d’un malfrat mort se met à danser en pleine fusillade, des séquences entières sont vécues du point de vue d’un iguane… Les yeux exorbités, la démarche déglinguée, les fous rires sardoniques, Nicolas Cage en fait, à raison, des tonnes, et livre une performance saisissante.
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Plus le film avance, et plus on rentre dans le trip. Mais gare à la descente...
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Sans son habituel attirail de globe-trotter, Herzog apparaît pour ce qu’il est : un cinéaste médiocre, tâcheron appliqué à la préservation de son mythe de cinéaste plus ou moins maudit.