Plongée dans les coulisses du projet d'adaptation titanesque et mouvementé de La Horde du Contrevent, aujourd'hui en stand-by.
Windwalkers, c'est une histoire folle qui se joue discrètement depuis 2011 au sein d'une start-up d'animation française. Créée dans un seul but, Forge animation a fait le pari d'adapter la Horde du Contrevent, roman de science-fiction d'Alain Damasio, en film d'animation mais aussi en jeu-vidéo et en bande-dessinée. Un énorme défi artistique qui a réuni des professionnels de l'animation comme des grands noms du cinéma. Jan Kounen, Marc Caro, les dessinateurs d'Avatar, Matrix et même Alain Damasio ont mis la main à la patte. Mais cette belle équipée s'est perdue dans la tempête.
Malgré deux ans de travail, Windawlkers, le film est en stand-by tandis qu'une campagne Kickstarter a été lancée pour sauver le jeu-vidéo il y a quelques jours. Un coup dur, qui n'empêche pas une poignée de doux-dingues, passionnés et talentueux, de poursuivre l'aventure toutes voiles dehors pour que Windwalkers ne rejoigne pas le Dune de Jodorowsky dans le cimetière des brillants projets de science-fiction avortés.
Mathias Averty (@MathiasAverty44)
A l'origine : un livre de science-fiction très particulier
La Horde du Contrevent est un roman de science-fiction philosophique paru en 2004, écrit par le lyonnais Alain Damasio. Pavé épique et libertaire de plus de 700 pages, ce livre salué par la critique a réuni plusieurs milliers de lecteurs autour du destin d’une étonnante communauté, la Horde, qui doit rejoindre l’extrême-amont d’un monde balayé par les vents. Son but : trouver l’origine des bourrasques qui ravagent sans pitié cette planète hostile. 33 hordes, entrainées dès l’enfance, l’ont précédée et ont échoué. Elle est la 34ème, la plus prometteuse mais peut-être aussi la dernière. Véritable livre univers, La Horde du Contrevent est aussi une grande réflexion sur la force du lien humain, le mouvement et la nature du vivant. Des concepts difficiles à illustrer, d’autant que le recueil est avare en description. Ajoutez à cela une histoire polyphonique qui confie la narration à ses 23 personnages principaux et vous obtenez une oeuvre parfaitement inadaptable. Une raison suffisante pour tenter l’expérience, si l’on en croit Forge Animation.
2011 : Un projet d'adaptation titanesque made in France
En 2011, une start-up française, se lance le défi audacieux d’adapter pour plusieurs supports cette oeuvre de science-fiction qui a profondément marqué ses fondateurs. « Les marchés de l’animation et de la SF sont saturés de franchises alors que le public recherche des univers neufs qui portent d’autres valeurs. Nous en sommes convaincus », raconte Marianne Carpentier, productrice exécutive de Windwalkers. Tout comme la 34ème horde du roman, Forge croit au travail d‘équipe et veut monter un grand projet transmédia. L’idée est alors de collaborer avec d’autres studios : des créateurs de jeux-vidéo, des dessinateurs, des graphistes et des animateurs 3D pour mêler les savoirs-faires de tous ces métiers cousins. Le film d’animation Windwalkers, tourné en anglais, en 3D et en motion capture est la pièce maîtresse du projet, enrichie des bandes-dessinées et un jeu-vidéo utilisant le même environnement graphique. « En déclinant l’univers en plusieurs médias, on donnait l’occasion à des publics très différents de le découvrir », explique Marianne Carpentier. Un projet d’entreprise se déploie peu à peu, l’économie des moyens, la variété des supports d’exploitations et l’univers mis en scène séduisent les investisseurs : Forge rachète les droits, monte une équipe et commence son paquetage vers son extrême-amont.
2012 : Jan Kounen, Alain Damasio et Marc Caro, des pointures derrière le projet
Alain Damasio témoigne des plus belles heures de cette odyssée : « L’équipe de Forge m’a convaincu par son regard fidèle sur le monde que j’ai inventé. Ils m’ont engagé pendant un an et demi autour d’une équipe de choc pour retravailler le scénario du film, l’alléger tout en sauvegardant sa portée philosophique. Jan Kounen (ndlr : Vibroboy, 99 Francs) s’est joint à nous avec beaucoup de motivation pour préparer la mise en scène et la réalisation. Marc Caro (ndlr : Delicatessen et la Cité des Enfants Perdus) était en charge de la direction artistique.C’était un travail de titan mais Forge était capable de soulever des montagnes pour Windwalkers, j’ai rarement vu une équipe aussi soudée face à un objectif aussi abstrait et lointain »
Forge a donc développé des filiales, travaillé avec des spécialistes du vent et fait appel à de grands dessinateurs de science-fiction comme George Hull (Cloud Atlas, Matrix Reloaded), Wayne D. Barlowe (Avatar, Hellboy) ou encore Oscar Chichoni (The Hobbit, Pacific Rim) qui ont dessiné les paysages et les grandes villes décrites dans le livre. Au plus fort du projet, c’est une équipe de 40 personnes qui travaillait sur Windwalkers. « On a choisi de miser sur un aspect graphique très fort et de vraiment soigner le design de Windwalkers, explique Marianne Carpentier. Si bien qu’on a réussi à attirer le soutien des fans du roman, en France et en Italie mais aussi l’attention de médias spécialisés et des communautés de gamers au Brésil, en Inde ou encore en Russie qui étaient très curieux de découvrir cet univers »
Fin 2013 : l'ère des tempêtes
Malheureusement, malgré tous ces talents mobilisés, l’aventure Windwalkers est confrontée à une série de clashs ou de furvents si l’on parle comme un hordier. A la source, la lutte habituelle entre les artistes et leurs producteurs, inquiets de la portée spirituelle de l’oeuvre. Les grands distributeurs et diffuseurs français et américains croyaient beaucoup en l’univers et à son design, mais pas au script qu’ils trouvaient indigeste et trop compliqué. « Si bien que le projet s’est retrouvé bloqué », révèle Marianne Carpentier. « Les distributeurs américains ont voulu intervenir sur le scénario qu’on avait déjà recommencé 4 fois, pour en Marveliser certaines scènes. Ils voulaient des grosses tempêtes et des gros mecs musclés qui s’accrochaient pour les contrer », regrette Alain Damasio. Jan Kounen et Marc Caro, qui ne peuvent plus rien à ce stade, se retirent du projet fin 2013, Alain Damasio continuera de suivre son avancée d’un peu plus loin. Forge se retrouve alors avec des centaines de croquis et de concept art sur les bras sans oublier une bible de 1 000 pages qui approfondit et illustre l’univers du roman. Mais aucun scripte solide n’est validé par les producteurs et, faute d’argent, Windwalkers le film, est mis en stand-by. En 2014, nouveau coup dur : un premier prototype du jeu-vidéo Windwalkers et son game-play très original basé sur la coopération ne parviennent pas à convaincre le marché vidéo-ludique. Là encore, Forge doit faire machine arrière. L’entreprise doit se restructurer, licencier mais parvient à éviter le naufrage.
2015 : Un kickstarter pour sauver Windwalkers, le jeu-vidéo
Nous sommes en Mars 2015 et nous voici devant le Kickstarter de Windwalkers. A défaut de faire le film, Forge a désormais besoin de l’argent des particuliers et de ses fans pour sauver le jeu-vidéo et son gameplay remanié. Alain Damasio a apporté son soutien à la campagne et pour le moment 90 604 dollars canadiens ont été récoltés sur les 330,000 nécessaires. « Cette campagne de crowdfunding nous permet de faire découvrir le monde de la Horde du Contrevent au grand public américain par le jeu-vidéo, plus accessible, plus fédérateur et aussi plus avancé que le film d’animation. Son industrie est aussi plus flexible et innovante que celle du cinéma », assure Marianne Carpentier. « Ce serait dommage que ce projet collectif passionnant finisse comme le Lost in la Mancha de Terry Gilliamou le Dune de Jodorowsky », confie Alain Damasio. Mais cette aventure était passionnante et je ne regrette pas ‘y avoir participé. » Et puis il y a eu du concret : un dessinateur marseillais a signé un contrat solide pour adapter Windwalkers en bande-dessiné chez Delcourt. Un premier tome est prévu fin 2015 tandis que la traduction de la Horde du Contrevent en anglais est en très bonne voie.
Quel avenir pour la Horde sur grand écran ?
« Que le kickstarter fonctionne ou non, Forge ne se retrouvera pas sur la paille. Alors nous allons nous concentrer sur le jeu-vidéo en priorité, mais nous avons confié la réécriture du scénario du film à Iris Yamashita la scénariste des Lettres d’Iwo Jima, assure Marianne Carpentier. On ne peut pas encore donner de date de rendez-vous en salle, ni de début de tournage du film. Pas avant plusieurs années. » La situation n’est donc pas désespérée, et Forge jouit désormais d’un imposant matériel de départ. Mais les fans vont donc devoir patienter de longues années avant de voir le projet Windwalkers se concrétiser à l’écran. « C’est une aventure humaine incroyable et si ces années de galère nous on fait passer de l’utopie au pragmatisme, nous n’avons pas perdu le grain de folie qui nous pousse à nous accrocher. Nous sommes devenus aussi soudés et déterminés que la Horde du Contrevent. »
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