Rencontre avec le réalisateur Jeremy Podeswa.
Cinquante-six ans au compteur (il en fait dix de moins), belle gueule, aisance naturelle face au public comme devant une dizaine de journalistes : Jeremy Podeswa aurait pu être acteur qu'on n'y aurait vu que du feu. Mais le bonhomme que nous rencontrons est invité par le festival Séries Mania pour ses talents de réalisateur - de séries, à l'évidence. De Six Feet Under à Carnivàle, Band of Brothers, The Newsroom, True Detective (le final de la saison 1), Boardwalk Empire ou Game of Thrones, il est passé partout chez HBO, s'autorisant même des excursions chez la concurrence (Dexter, The Walking Dead, Homeland...).
Un CV long comme le bras que ce natif de Toronto a construit sur un coup de chance : "Je n'ai jamais voulu faire de la télévision", confie-t-il dans un salon luxueux de la Chambre de commerce de Lille. Elevé dans une famille de peintres - le père, le grand-père, le frère - mais dénué de talent le pinceau en main, il cherche sa voie artistique. "Je ne peins pas, mais j'ai toujours été intéressé par la réalisation", se souvient Podeswa. "Sauf que j'habitais" au Canada, bien loin des collines d'Hollywood. "Tout ça me semblait très exotique". Après quelques années dans une école de cinéma, c'est la confirmation. Il enchaîne les projets, réalise deux films pour le grand écran et on vient le chercher pour travailler sur le petit écran autour de l'an 2000. "A cette époque, la télévision commençait à changer, avec l'arrivée de séries comme Six Feet Under, Les Soprano ou Sex and the City. C'est là que j'ai commencé à travailler avec HBO, qui a transformé le paysage télévisuel" avec des productions haut de gamme (le fameux slogan "It's not TV, it's HBO"). "Mais je n'avais pas particulièrement la culture séries", reconnaît-il. "Six Feet Under a été très importante pour moi, c'était ma première série HBO. Ca a changé ma perception des séries télé. Je ne savais pas du tout qu'on pouvait s'autoriser de faire ça, c'était une expérience incroyable. Avant, je voulais devenir réalisateur de films indépendants, et le showrunner Alan Ball n'avait aucune raison de penser que je serais à la hauteur. Mais il a cru en moi".
Il devient vite incontournable sur la chaîne du groupe Time Warner et finit donc par mettre en scène de nombreux épisodes de Game of Thrones, série phare de son époque. C'est à notamment à lui qu'on doit le season premiere et le final de la saison 7, riches en action et en scènes brutales. "Mais la violence ne m'attire pas. Ce que j'aime, c'est l'histoire et les personnages", objecte Podeswa quand on l'interroge sur le sujet. "Très proche" des showrunners David Benioff et Dan Weiss, il explique que son travail est de "comprendre ce qui se passe dans leurs têtes, d'essayer de coller à leurs envies esthétiques et leur sens du storytelling. Une fois que j'ai compris ce qu'ils visent, ce qui est vraiment important pour eux, c'est là que je trouve ma voie. Les showrunners sont mon premier public : quand je réalise, je pense à eux, pas aux téléspectateurs. Je veux qu'ils soient contents de mon travail, que j'arrive à capter l'essence de la série et peut-être même repousser ses limites".
"Le plus dur, c'est de garder une cohésion"
Une "vraie collaboration" qui lui laisse "bien plus de liberté qu'on ne pourrait le penser pour une série de cette ampleur. David et Dan n'ont pas un ego démesuré, ils ne dictent rien. Ils veulent qu'on leur apporte les idées et la créativité nécessaires pour produire quelque chose qui les surprend". Mastodonte tourné aux quatre coins de la planète, Game of Thrones est un objet télévisuel hors-norme, un casse-tête permanent dû à l'absence de décors fixes, à l'exception de certains lieux emblématiques. "Chaque épisode a son propre challenge. Tout peut devenir un problème : un nouvel endroit, une séquence inédite dans la forme... On est tout le temps en train de se demander comment on va y arriver. Le plus dur, c'est de garder une cohésion. Mais cet univers a beau être très vaste et alterner les ruptures de ton, il est formidablement conçu à la base, ce qui nous aide beaucoup", assure-t-il, avant d'évoquer "le manque d'énergie" dont il souffre durant le tournage. "On tourne durant des mois et des mois dans plusieurs pays du monde, on voyage en permanence. Physiquement, ça peut être très dur".
Actuellement occupé par l'écriture de films et le développement de séries avec un pool de scénaristes, il se verrait bien réaliser en Europe dans un avenir proche : "On ne m'a pas approché, mais j'adorerais ! Le monde rétrécit, les shows s'influencent entre eux et les gens ont soif de bonnes séries. Ils se fichent de savoir si elle vient de France, du Danemark, d'Israël... Le langage ne semble plus être une barrière, tout le monde peut travailler partout désormais". A quand un épisode du Bureau des légendes signé Jeremy Jeremy Podeswa ?
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