Severance
Apple TV+

Un thriller semi-fantastique au suspense dément, qui cite autant Brazil et The Truman Show que La Quatrième dimension. Vraiment malin, vraiment humain.

Tous les matins, Mark Scout (Adam Scott) se gare sur le parking de Lumon Industries, très mystérieuse entreprise où il travaille depuis quelques années. Il sort de sa voiture, se change au vestiaire, laisse précautionneusement dans son casier toutes ses affaires venues de l’extérieur, prend l’ascenseur et… rien, le vide total. Il ne reprend connaissance qu’au moment de rentrer chez lui. Comme tous les employés de Lumon, Mark s’est volontairement fait implanter une puce dans le cerveau qui bloque le souvenir de son temps passé au bureau. Officiellement, il s’agit pour la boîte de préserver ses secrets. Officieusement, les choses semblent un peu plus bizarroïdes que ça… Existent donc alternativement le Mark du « monde réel » et celui de Lumon. Aucun n’a accès aux souvenirs de l’autre. Deux individus dans un seul corps, le premier passant ses soirées à picoler, l’autre ne connaissant que le travail. Reste cette question obsédante des deux côtés de la barrière : que se passe-t-il quand s’ouvre la porte de l’ascenseur ?

Thriller SF implacable en forme de drame entrepreneurial, Severance aguiche d’abord par sa critique acerbe du capitalisme, avant de se révéler en formidable étude de caractère qui cite autant La Quatrième dimension et Brazil qu’Eternal Sunshine of the Spotless Mind. La série, toujours sur le fil, jongle entre vertige existentiel et moments d’absurdité totale façon The Office (Mark et ses collègues d’open space, dressés pour traquer sur des ordinateurs antiques les « chiffres qui font peur ») ; suspense dément et développement de personnages profondément humains. Ça passe par des petites choses - des mains qui ne devraient pas se toucher, l’espoir qui se lit dans un regard - que Ben Stiller, derrière la caméra pour plusieurs épisodes clés, capte avec beaucoup de sensibilité. Alors que la froideur bureaucratique de sa mise en scène reprend inévitablement ses droits dans la scène suivante.

On suit donc des protagonistes qui cherchent à s’auto-compléter à travers une double enquête, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur. Le tour de force étant de rendre ce trouble palpable pour le spectateur, alors que la quasi-totalité du puzzle lui est pourtant visible. Limpide, la l’intrigue construite en aller-retours est rien de moins qu’une prouesse scénaristique, portée par un casting vraiment robuste (Adam Scott, dans le meilleur rôle de sa carrière, joue subtilement sur la façon de se tenir des deux Mark, les faisant se rejoindre sur une frustration et une curiosité communes ; John Turturro et Christopher Walken forment binôme déchirant ; Patricia Arquette excelle à la fois en manageuse sadique et en voisine prête à rendre service…). La fin, extrêmement frustrante, vous fera à coup sûr réclamer une saison 2. En attendant, ces neuf épisodes font de Severance la plus grande série d’Apple TV+ à ce jour.

Severance, créée par Dan Erickson, disponible sur Apple TV+