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Il déteste piétiner sur la Croisette mais redevient le roi du cool une fois sur la scène du Palais des Festivals. Comme l’an dernier, c’est lui qui aura l’honneur de déclarer les festivités cannoises ouvertes (puis fermées). Il est le Neil Patrick Harris français, un Edouard Baer pour la French Riviera. Le maître de cérémonie que le plus grand festival du monde attendait. Ladies and gentlemen… Lambert Wilson !PREMIERE : Votre prestation en Monsieur Loyal cannois a mis tout le monde d’accord l’an dernier. D’ailleurs, vous rempilez. A quel moment vous avez compris que c’était gagné ? Sur scène, en sentant les vibrations de la salle ? LAMBERT WILSON : Non, en arrivant au dîner officiel. Pendant la cérémonie, j’avais dansé la salsa avec Nicole Kidman, j’étais content, mais là, tout à coup, les super pontes du cinéma français, qui sont en général un peu distants avec moi, m’ont regardé comme pour la première fois. Ils avaient une lueur d’excitation et d’admiration au fond des yeux. Et je vous parle de gens que je connais depuis 30 ans. C’est génial parce que c’est ce qu’on recherche en tant qu’acteur. Ça m’a rappelé mon rôle du Mérovingien dans Matrix Reloaded. Après la projection cannoise, Patrice Chéreau – qui était président du jury – et Jean-Pierre Jeunet – qui était là – étaient venus à moi, comme ça, spontanément. Comme s’ils me redécouvraient.Le job de maître de cérémonie, que ce soit à Cannes, aux César ou aux Oscars, est un truc assez fascinant à observer. Surtout depuis son canapé. Parce qu’on regarde ça comme un numéro de funambulisme : est-ce qu’il va se planter ? Est-ce qu’il est pas un peu fou de se lancer là-dedans ? A Cannes, c’est quand même un peu différent, parce qu’on n’est pas là pour faire un numéro. Il ne s’agit pas de tenir la scène pendant trois ou quatre heures. Ça a souvent été un exercice très formel, avec de jolies femmes. L’actrice était censée être tellement bouleversée que ses battements de cœur devaient envoyer une vibration à son costume en tissu léger. Bon, quand un acteur de 55 balais débarque, on n’attend pas de lui qu’il fasse vibrer son costume… Il s’agit du coup de s’emparer de la tribune et de dire des choses.Même si vous avez tous les yeux du gotha cinématographique mondial braqués sur vous, l’ambiance est quand même dix fois plus chaleureuse qu’aux César, non ? Oui, Cannes, c’est plus civilisé. J’ai déjà été sur la scène des César en tant que remettant, et on y sent une hostilité folle, des émotions extrêmement négatives. On n’a pas la culture du succès en France. C’est pour ça que les gens adorent quand un outsider gagne. Parce que ça veut dire que leur rival a perdu ! Les Américains, eux, savent "représenter" le succès. A partir du moment où ils sont assis dans la salle, ils sont au boulot, toute la soirée. Alors ils sourient et se réjouissent pour les autres – même si c’est totalement hypocrite. Mais au moins les plans de coupe ne sont pas glaçants. C’est de l’entertainment, ils jouent le jeu. Je crois aussi que les Français confondent les César avec le Prix Nobel de la paix.Vous avez une qualité essentielle pour un maître de cérémonie : tout le monde vous aime… Ah oui ? Je veux bien l’entendre mais ça me surprend. Je suis paranoïaque total, moi, j’ai toujours l’impression que les gens me détestent.Euh… Je parlais du public, là, pas de la profession…Ah, vous voyez, on est d’accord, la profession me déteste ! (Rires) Non, sérieusement, quand on me demande des photos, c’est quand même surtout pour une certaine génération, celle des mamans, voire des grands-mamans. Je leur demande d’ailleurs, aux plus jeunes : "Mais je vous plais pas, à vous ?" Et qu’est-ce qu’ils répondent ?"Si, si, mais surtout à ma mère."Un mystère demeure : que fait un maître de cérémonie entre les cérémonies d’ouverture et de clôture ? L’année dernière, je répétais une comédie musicale au Châtelet alors je suis parti le lendemain de l’ouverture et revenu la veille de la clôture. Cette fois-ci, j’aimerais voir des films. Rester quelques jours. Un ou deux, pas plus, parce que je pense qu’on ne peut pas tenir très longtemps à Cannes. Je suis trop sensible, c’est trop pénible pour le système nerveux. Le problème quand on est un acteur avec un certain taux de notoriété, c’est que chaque pas dans cette ville est douloureux. J’ai été président du jury d’Un certain regard, j’en suis sorti grillé, j’ai mis longtemps à m’en remettre. On ne dort pas assez, on voit trop de monde, et quand on veut aller d’un point A à un point B, on est alpagué par 50 personnes qui veulent une photo et qui vous appellent Christophe Lambert. Ça fait 35 ans qu’on m’appelle Christophe Lambert, ça a tendance à m’énerver.Vous avez forcément jeté un œil à la sélection. Qu’est-ce qui vous excite sur le papier ? Les Italiens. Moretti, Garrone, Sorrentino. On dit que le cinéma italien est mort, mais c’est faux. Cette année, ils sont tous là, c’est la fête. J’ai sympathisé avec Sorrentino et sa femme la dernière fois, avec Garrone aussi, j’espère les recroiser. Même s’ils sont toujours un peu tendus dans ces moments-là…Vous parliez de trac. De quoi vous avez peur, vous, quand vous montez sur scène ?Que mon esprit ne soit pas assez rapide. Qu’il y ait un bug. Sarah Bernhardt disait : « Le trac, c’est votre système nerveux qui vous dit que vous n’avez pas assez travaillé ». C’est la seule solution : travail, travail, travail. Là, au moment où l’on parle, j’ai le trac, je ne dors pas, mais c’est parce que je ne suis pas encore arrivé au bout du processus de maturation. Mais d’ici le jour J, j’aurais rassemblé mes cartouches. Et puis, bon… c’est jamais qu’un petit speech après tout. Interview Frédéric FoubertCérémonies d’ouverture et de clôture du Festival de Cannes, les 13 mai (à 19h) et 24 mai (à 18h50) sur Canal+.