Roger Allers, co-réalisateur du Roi Lion, s'est attaqué à un gros morceau : l'adaptation du recueil philosophico-politique de Khalil Gibran. Le Prophète, présenté en ouverture du Festival international du film d'animation d'Annecy, réunit à travers l'histoire d'un poète emprisonné pour ses écrits révolutionnaires plusieurs séquences animées confiées à de grands auteurs (Tomm Moore, Joann Sfar, Bill Plympton, Joan Gratz...).
Vous avez dit que vous avez découvert Le Prophète à la fac. Moi aussi, et c'était ma période cheveux longs et pétards...
Ahah, oui, moi aussi ! Il faut croire que c'est la bonne période pour se plonger dedans. Le livre a vraiment fait partie de la contre-culture US dans les années 60, et aujourd'hui il est un peu oublié. Ca fait loin. Mais c'est vrai que c'était un truc hippie, à l'époque.
En parlant de hippie, en 1989 vous avez travaillé sur l'animation de Little Nemo d'après Winsor McKay, co-écrit par Moebius. Vous l'avez rencontré ?
Non, je l'ai juste croisé une fois par l'intermédiaire d'un ami commun, juste après. On a un peu parlé, je lui ai dit que j'adorais ses BD.
Le Prophète évoque parfois un conte baba philosophique, dans le genre Jodorowsky.
(gêné) Je ne vois pas qui c'est, désolé... Mais c'est vrai que le film cherche à reproduire le mouvement d'ouverture d'esprit du livre, l'oeuvre qui provoque un changement dans ton rapport au monde, ta perception des choses. Je me rappelle très bien la soirée à la fac où je l'ai lu, ça a été une sorte de révélation. Je me sentais connecté à tout le monde, toutes les choses, les meubles de ma piaule d'étudiant, les étoiles... Désolé, ça fait un peu cul-cul tout ça.
Mais c'est le bouquin, de toute façon, avec ces aphorismes poétiques sur l'amour, l'univers et les fleurs... Vous n'aviez pas peur d'être trop cul-cul en écrivant le script ?
Non, parce que je suis un mec cul-cul moi-même ! Non, la difficulté était de surtout trouver l'équilibre, l'articulation entre le ton des poèmes et l'arc narratif qui les relie. Il fallait rendre le trip divertissant, ne pas aller trop loin dans l'abstrait pour ne pas retomber trop fort entre chaque séquence.
Avec son symbolisme et sa structure, Le Prophète a l'air difficile à montrer aux enfants...
On a fait des projos-test avec des enfants. Les réactions sont variées. Ca dépend des enfants. Certains aiment les couleurs et la musique, d'autres les scènes d'action... C'est comme Fantasia : certains adorent l'Apprenti sorcier et la Nuit sur le mont chauve, d'autres préfèrent l'Ave Maria. C'est selon. Mais d'après moi le film marche sans problème pour les enfants.
Pourquoi avoir choisi Liam Neeson pour la voix du narrateur ?
Il nous fallait de l'autorité, de la chaleur et de la douceur. Je ne voulais pas que Mustafa soit un moine austère ou un saint. Dans le livre Gibran célèbre les plaisirs du vin, de la chair, de l'existence. Et on a découvert que Liam connaissait des passages entiers du livre par cœur.
>>> Mika sera la voix française du Prophète
En fait vous êtes en train de me dire que Liam Neeson est un ex-hippie.
Haha, je pense que oui.
Combien de réalisateurs étaient sur votre short list pour réaliser des poèmes ?
Environ 70. Tous n'étaient pas libres, tous n'étaient pas intéressés...
Et vous avez proposé à Rob Minkoff (co-réalisateur avec Roger du Roi Lion) ?
Non ! N'est-ce pas terrible ? Mais pendant la pré-production du Prophète il était très occupé, en plein tournage de M. Peabody et Sherman pour DreamWorks...
Vous l'avez vu ?
Non, j'ai honte. Mais je te rassure, on est toujours très potes.
Pendant longtemps Le Roi lion était le plus gros succès pour un film d'animation de tous les temps. Il a été détrôné par La Reine des neiges. Vous l'avez vu ?
Oui.
Vous en pensez quoi ?
Hum. Je l'admire énormément d'un point de vue technique. Le film est hyper beau. Et puis la neige est incroyable. Quand un personnage sort de la neige et qu'elle s'est accumulée sur ses cheveux et ses épaules, c'est fabuleux. Ils ont compris la neige. Après, du point de vue de l'histoire, j'ai été moins convaincu. Ca ne m'a pas vraiment parlé. Mais bon je suis en minorité.
Interview Sylvestre Picard
Bande-annonce du Prophète, en salles françaises le 2 décembre :
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