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Par un heureux hasard, le dernier film de Fabrice du Welz est programmé en même temps que l’hommage de la Quinzaine des réalisateurs à Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, présenté au même endroit quarante ans plus tôt. Incidemment, Massacre est le film qui a ouvert Du Welz au cinéma : de Ed Gein à Psychose, de Hitchcock à Buñuel, il suffisait de suivre le fil. Et il n’est pas difficile de trouver des points communs aux deux films, depuis le thème (la folie meurtrière) jusqu’au style (image granuleuse du 16mm), jusqu'à la première image d’Alléluia, une toilette mortuaire. Comme Massacre à la tronçonneuse, Alléluia a cette même intention de transmettre viscéralement l’idée de la mort.Alléluia s’inspire de l’histoire vraie du couple infernal Raymond Fernandez /Martha Beck qui ont tué une vingtaine de veuves pour leur argent. Martin Scorsese a failli adapter ce fait divers avant de passer la main à Leonard Kastle qui en a tiré l’excellent Les Tueurs de la lune de miel (1969).  Du Welz s’est approprié l’histoire en la transposant dans les Ardennes, et en confiant le rôle du gigolo à Laurent Lucas, renouant du même coup avec l’atmosphère de son premier film Calvaire.Le résultat est un film surréaliste d’amour vraiment fou, qui suit les étapes d’un parcours meurtrier en adoptant un point de vue émotionnel et viscéral plutôt que logique. Les acteurs s’emploient à traduire cette progression en s’abandonnant totalement, et la chimie qu’ils dégagent est exceptionnelle. La première apparition de Lucas (devenu rare depuis son installation au Québec) est électrique et propulse le film à un très haut degré d’intensité qui ne baissera plus. Il joue une sorte de séducteur en série qui finit par se laisser attendrir par l’amour dévorant et exclusif qui lui voue une mère célibataire (excellente Lola Duenas). Ensemble, ils vont s’entendre pour exploiter les capacités de séduction de Monsieur, mais assez rapidement, l’incontrôlable jalousie de Madame va se révéler funeste. A la différence des précédentes versions, qui suggéraient que les meurtres étaient prémédités, Alleluia met en avant leur nature presque accidentelle et rend touchante la passion destructrice de cette femme. L’atmosphère imaginée par du Welz a inspiré au directeur de la photo Manuel Dacosse (L’Etrange couleur des larmes de ton corps) des images sublimes qui semblent ne dépendre que  la lumière disponible. La fin, ouverte à l’interprétation, ne fait aucune concession, et affirme la personnalité de du Welz mieux qu’aucun autre de ses films.Gérard DelormeAlléluia de Fabrice du Welz avec Laurent Lucas et Lola Duenas a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs du 67ème Festival de Cannes, et sortira en fin d'année.