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À l'occasion de sa venue au TIFF (Toronto International Film Festival) pour la promotion de son nouveau film St. Vincent, Bill Murray aura les honneurs d'un peu plus que d'un simple tapis rouge. Les organisateurs du festival consacrent en parallèle de la sélection officielle une journée dédiée à la carrière de l'acteur avec la diffusion de trois de ses comédies les plus célèbres sur le territoire américain : Les Bleus d'Ivan Reitman (1981), excellente comédie de troufions encore trop confidentielle en France, SOS Fantômes et Un Jour sans Fin.Au cours de cette journée où planera obligatoirement le fantôme du regretté Harold Ramis (qui joue aux côtés de Murray dans les deux premiers films et réalise le troisième), Toronto concrétise et officialise un concept selon lequel tout le monde devrait, au moins une fois par an, rendre hommage à Bill Murray. Mais pourquoi tant d’honneur ? Célébrer un Bill Murray Day, c’est célébrer un peu plus qu'une filmographie. C’est une décision qui relève du bon sens. Bill Murray, c’est un symboleLes justifications d'un Bill Murray Day dépassent évidemment ses mérites en tant que comédien. Il existe suffisamment d'acteurs talentueux et populaires pour emplir une bonne partie de notre calendrier, mais peu ont atteint le statut particulier de Murray dans l'inconscient collectif et la pop culture contemporaine. Cela repose en partie sur son parcours d'acteur, mais aussi sur une présence à l'écran qui tient d'un charisme presque accidentel.Par son physique dégingandé, son visage de clown triste et sa voix grave et rocailleuse, Bill Murray a une tendance naturelle à habiter l'écran à chacune de ses apparitions. Plus intéressant encore, peu d'acteurs ont su comme lui mettre en scène leur propre personne à travers leurs rôles. Bill Murray s'est incarné lui-même à trois reprises au cinéma (Space JamCoffee and Cigarettes et Zombieland), et avec le temps, la frontière entre l'acteur et ses personnages a parfois eu tendance à s'effacer, un statut particulier qui interpelle dans certaines de ses performances aux accents autobiographiques (ses rôles dans Rushmore et Lost in Translation renvoient à sa propre dépression dans les années 80).Parce qu'il a su incarner les deux faces (lumineuse et sombre) d'une même personnalité comique dans des rôles qui ont marqué plusieurs générations, Bill Murray a acquis un statut qu'avait atteint le récemment disparu Robin Williams, celui d'un acteur proche des gens et capable de susciter une empathie très forte. Deux personnalités à part qui se jouaient toujours un peu d'elles-mêmes dans leurs films et dont on pouvait déceler les imperfections et les failles derrière leur folie comique. C'est d'ailleurs en exploitant pleinement ce filon que Murray a obtenu ses rôles les plus forts et ceux qui lui ont valu le plus d'honneurs (nomination aux Golden Globes pour Rushmore, Golden Globe et nomination à l'Oscar du Meilleur Acteur pour Lost in Translation).La question de la longévité entre elle aussi en ligne de compte. Depuis ses débuts au cinéma à la fin des années 1970, peu d'acteurs qui ont côtoyé Bill Murray peuvent témoigner de la même longévité, notamment parmi les stars de la comédie US des années 80. Steve Martin, Eddie Murphy, Dan Aykroyd... Tous ont vu leur carrière refluer plus ou moins tardivement. Si celle de Murray a connu de nombreux hauts et quelques bas (quatre ans sans film dans les années 80, une série de films moins marquants au milieu des années 90), il n'a jamais vraiment quitté le cœur des fans de comédie. Même le très aimé Robin Williams a passé la dernière décennie à enchaîner des rôles non pas moins intéressants, mais moins exposés. Cette longévité a aussi grandement contribué à façonner la figure de l'acteur Murray qui a traversé les générations de cinéphiles et toujours réconcilié le public et la critique. Une rareté qui se devait d’être reconnue.Bill Murray, c'est aussi une philosophieMais l'esprit du Bill Murray Day devrait même dépasser les frontières du cinéma. On peut dire qu'il existe un culte Bill Murray, un culte structuré, avec sa figure d'adoration, ses fidèles et ses légendes. Beaucoup de légendes, blagues et autres memes face auxquels personne ne peut rivaliser. Des acteurs comme Keanu Reeves ou Nicolas Cage ont leur part de gloire numérique, mais celle-ci est souvent centrée sur un aspect précis de leur jeu (la posture triste du Sad Keanu ou son expression faciale complotiste pour le premier, les ricanements, grimaces et coupes de cheveux pour le second). L'amour d'Internet pour Bill Murray, lui, est plus inconditionnel et tient moins à l'amour du LOL qu'aux déclarations d'admiration incessantes, surtout à chaque fois que le récit d'un de ses actes de bravoure est relayé par les médias.Des expositions se montent sur sa simple personne, comme celle qui s'est tenue il y a quelques temps à Los Angeles. Des tournois de golf l'invitent à taquiner la balle avec les pros du club. On a même vu récemment un glacier américain organiser un rassemblement de fans de Bill Murray, auquel bien évidemment l'acteur s'est rendu. Si chacun le célèbre déjà à sa manière dans son coin, pourquoi ne pas réunir toutes ces manifestations lors de la même journée ?Chacun peut rendre hommage à Bill Murray, car louer le talent et la carrière de Bill Murray, c'est aussi faire l'éloge d'un certain rapport au monde. Ce rapport, c'est un rapport contradictoire fait de misanthropie et de proximité, de légèreté et de gravité, qui traverse non seulement ses films mais chacune de ses apparitions publiques. Au final, la véracité de toutes les légendes urbaines et anecdotes cools sur lesquelles Bill Murray a bâti son image importe moins que l'esprit qui les anime, et c'est aussi cet esprit que le Bill Murray Day doit s'efforcer de faire vivre.Envisager, l'espace d'une journée, de vivre selon la philosophie Bill Murray, c’est passer une journée coupé de la réalité en gardant sa boîte mail fermée, laisser les gens vous contacter par répondeur interposé, se montrer dans des endroits où on ne vous attend pas, se pointer en survêtement en plein milieu d'un karaoké, piquer une frite dans l'assiette d'un inconnu sans s'excuser.Cette attitude décontractée, faite de procrastination et d'imprévisibilité, c’est un peu l'antithèse de nos vies contemporaines. Il existe déjà des journées où l'on nous incite à couper notre portable, à laisser notre voiture au garage ou encore à être gentils avec les autres. Autant de journées aux intitulés tristes ou rabats-joie qui gagneraient à bénéficier d'un porte-parole comme Bill Murray. Ce 5 septembre, le festival de Toronto va vivre au rythme de la nonchalance furieusement cool de Bill Murray. Et nous serions bien inspirés d'en prendre exemple.Julien LadaVoir aussi : 10 choses à savoir sur Bill Murray