La fin d’Inside Llewyn Davis rappelle une situation du début d’Amadeus de Milos Forman, qui montrait avec une certaine cruauté que Salieri, qui n’était pas un manche, avait été totalement éclipsé en matière de notoriété par son élève Mozart. Même si ça n’est pas révélé de façon aussi évidente, on comprend qu’il y a le même genre de rapport entre Bob Dylan et le personnage des Coen, inspiré de Dave Van Ronk, un pionnier de la scène folk du début des années 60, et l’un des mentors de Dylan.Partant du personnage réel, les Coen dressent un portrait fictif de celui qu’ils ont rebaptisé Llewyn Davis au moment où il aborde un tournant de son existence. Littéralement sans domicile fixe, Davis passe ses nuits sur les canapés des uns et des autres, avec les inconvénients qui vont avec. Il ne gagne pas un sou avec ses disques invendus et court après les cachetons avec de plus en plus de réticence. Au bord du découragement, il est tenté de revenir en arrière vers un job fixe et une vie pas vraiment attirante.Entre errance pittoresque et désillusions amères, les Coen alignent les épisodes avec pour fil rouge un chat incongru. C’est souvent drôle, d’un comique ultra précis fait avec quasiment rien, mais avec des rappels incessants de la cruauté de la réalité. Les Coen surprennent encore, dans un registre inédit entre biographie et fiction.Oscar Isaac, qui chante et joue à la perfection, incarne le personnage avec la dose idéale d’obstination lasse. Autour, gravitent Carey Mulligan, Justin Timberlake, John Goodman, toujours très bien servis par les Coen. Même Garett Hedlun est très bien dans un rôle de beatnick aussi taciturne que son personnage de Moriarty dans Sur la route de Walter Salles était volubile.Les numéros musicaux varient entre la récréation fidèle des morceaux de Van Ronk et les interprétations plus ou moins sarcastiques des autres formes de folk pratiquées à l’époque. L’un des plus comiques, une session d’enregistrement d’un possible tube, est si exaltant qu’il a déclenché des applaudissements. On sort avec le besoin de prendre un peu de recul, mais la certitude d’avoir vu un grand Coen.Par Gérard Delorme
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