Willem Dafoe Kinds of Kindness
Atsushi Nishijima

Dans Kinds of Kindness, le nouveau film à sketches frappadingue de Yórgos Lánthimos, Willem Dafoe joue trois rôles dans trois segments différents. Lors de son passage sur la Croisette en mai dernier, on rencontrait l’acteur pour ausculter avec lui sa vision du métier d’acteur et ses éventuels Dafoe de conception.

Première : Que vous a dit Yórgos Lánthimos pour vous vendre Kinds of Kindness ?
Willem Dafoe : Rien. Parce c’est un truc de journalistes, ça ! Une mauvaise compréhension de la relation entre le réalisateur et l’acteur. En réalité, il n’y a a pas tant de discussions en amont. Ça peut vous sembler froid, mais en réalité on parle peu du film ou du rôle, à l’exception de quelques ajustements. Et il se trouve qu’avec Yórgos, tout se joue au moment des répétitions et des essais de costumes. Pour le troisième segment, j’ai dû en tester au moins trente ! Sur ce point-là, il est dictatorial tant qu’il n’a pas trouvé ce qui définit le personnage.

Mais avant tout ça, et quand vous êtes chez vous en train de lire le script du film, vous pensez à quoi ? Ce n’est pas un scénario si facile que ça à appréhender.
Je pense à faire. Comment et pas pourquoi. Je dois avoir une idée très claire de ce vers quoi je tends, me connecter aux enjeux du personnage. Du concret, du vivant. Parfois je sais tout de suite ce que c’est, et parfois je ne le comprends pas moi-même. Mais c’est pareil dans la vraie vie, non ? Le cinéma me permet de me laisser habiter par des impulsons ou des pensées qui ne sont pas les miennes. Je peux sortir de moi-même sans aucune répercussion, sans aucun prix à payer. Et pour ce film, je me suis immédiatement senti à l’aise dans cet univers aux contours très définis. Je n’ai eu aucun mal à y rentrer.

Willem Dafoe Kinds of Kindness
Searchlight Pictures


Vous avez une méthode pour vous préparer avant un tournage ?
Il faut faire attention à ce qui rentre ici (Il pointe son index sur sa tempe), parce que ça va y rester. Alors je prends mes précautions. Par chance, je ne suis pas très technophile. Ce qui peut me rendre parfois dépendant des gens d'une manière qui m’embête un peu… Mais c’est une autre discussion (Rires.) Je n'ai pas de réseaux sociaux et je fais tout ce que je peux pour limiter les infos au minimum. Mon cerveau est assez discipliné pour éviter de regarder n’importe quoi. Mais c’est tellement prononcé que, parfois, quand je tourne un film, je suis incapable d’en regarder d’autres. Ça fait trop de bruit dans ma tête. Et ça peut sembler fou mais je dois aussi faire particulièrement attention aux musiques que j’écoute. Il y a des gens qui sont capables d’écouter du heavy metal deux secondes avant la prise pour une scène qui se déroule au XVIIIe siècle. Pour moi, c’est lunaire. Je ne veux surtout pas avoir ça dans la tête à ce moment-là ! Et plus je vieillis, plus je suis conscient de ça. Quand j’essaie de me rapprocher de l’état d’esprit dont j’ai besoin pour tourner une scène, je dois faire le vide autant que possible dans mon espace mental. Pas y rajouter du bordel (Rires.)

Concrètement, ça veut dire quoi se « rapprocher de l’état d’esprit » dont vous avez besoin ? 
Je commence par créer des associations en rapport avec l’univers du film, mais surtout pas en dehors du monde réel. Je travaille depuis longtemps et j’ai fait beaucoup de théâtre, mais je ne suis pas un acteur très technique. Parfois, j’entends des confrères évoquer une interprétation - bâtarde à mon sens - de la méthode Stanislavski, qui consiste à substituer. Par exemple, le personnage arrive sur la tombe de sa mère, et il doit pleurer - bon, déjà, qui a dit qu’il devait pleurer ? -, donc l’acteur doit penser à quelque chose de triste dans sa propre vie pour rendre le moment authentique. Sauf que ça n'est pas authentique, puisque tu t’es évadé de l’instant. Tu n'étais pas vraiment là… Je maintiens qu’il est possible de puiser quelque chose dans la vérité de la scène et de l’imposer à ton esprit. Je fais semblant mais sans faire semblant. (Il regarde intensément un verre posé sur la table.)

Disons que ce verre est ma mère : je vais vraiment m’imaginer que c’est ma mère, essayer de créer un lien avec l’objet. Si je commence à penser à des choses de ma vraie vie, alors je m’éloigne de l’expérience du réel. Et ça devient juste de l’artisanat ou, pire, de la frime. Il faut résister à la tentation de faire son malin. Ma méthode est basée sur l’expérience physique. Je dois être dans l’instant et laisser quelque chose se produire. Performing, not showing. Et en restant dans cet état d’esprit - dans cet instant - sans faire appel à autre chose, alors avec un peu chance c’est là que les spectateurs accepteront de se laisser embarquer. Parce qu’ils pourront sentir qu’ils vivent quelque chose en même temps que moi. Bon, j’avoue que ça tient parfois de la magie…

Kinds of Kindness de Yórgos Lánthimos, avec Willem Dafoe, Emma Stone, Jesse Plemons… Actuellement au cinéma.