Rosa Marchant et Charlotte De Bruyne ont respectivement incarné Eva enfant et Eva adulte. Attention, l'interview peut contenir des spoilers.
Débâcle, réalisé par l'actrice Veerle Baetens (vue notamment dans Alabama Monroe, Tabula Rasa), est l'adaptation du best-seller éponyme Het Smelt (paru en France sous le titre Débâcle) de Lize Spit en 2016. Un premier film tiré d'un premier roman, en route vers le succès ? C'est tout ce qu'on souhaite à ce drame nostalgique, ravivé par Eva, personnage principal.
La vie d'Eva est projetée à différents âges, l'enfance, à mi-chemin avec l'adolescence puis la vie adulte mouvementée par les fantômes du passé. Charlotte De Bruyne et Rosa Marchant, les deux interprètes d'Eva, nous ont accordé une entrevue.
Débâcle : le premier film choc de Veerle Baetens [critique]Première : Qu’est-ce qui vous a plu dans le scénario de Débâcle ?
Rosa Marchant (rôle d'Eva enfant) : Incarner le rôle d’Eva a été un grand honneur. C’était mon premier rôle au cinéma. Je suis très reconnaissante envers Veerle, qu’elle ait pu voir ce potentiel en moi, pour pouvoir jouer ce rôle. Elle m’a donné cette chance et ça m’a rendue très heureuse. C’était ma première audition, c’était vraiment nouveau. Veerle m’a tout appris.
Charlotte De Bruyne (rôle d'Eva adulte) : C’est Veerle Baetens, la réalisatrice et co-scénariste, qui m’a appelée pour le rôle. Je connaissais très bien le roman qui est un best-seller en Belgique, mais je ne l’avais pas encore lu. Je me suis dépêchée de le lire - j’ai adoré la tension dans le livre et c’était sans doute le challenge du film. Il fallait exorciser ce monologue intérieur. On dit souvent que le livre est mieux que le film, mais là, les deux peuvent fonctionner ensemble. Jouer Eva était une grande opportunité, c’est la première fois que je joue quelqu’un d’aussi introvertie, avec si peu de texte, tout est dans le regard. En plus de jouer Eva, je devais jouer Rosa (Marchant), je l’ai observée au fils des semaines, son langage du corps, ai copié ses tics, elle est complètement différente de moi. J’ai adoré faire ça.
Quel est votre regard sur le drame vécu par Eva ?
Rosa Marchant : La chose la plus importante pour moi durant le tournage est que j’ai été totalement et constamment en confiance avec l’équipe et les acteurs. Nous sommes devenus amis, nous avions appris à nous connaître longtemps avant le tournage. Veerle organisait des week-ends à la mer. On avait des psychologues sur le plateau, la scène du drame a été une scène chorégraphiée.
Charlotte De Bruyne : Il fallait donner de la force et de la détermination. Pour nous, Eva est une superhéroïne, on faisait des liens avec d’autres films, comme Kill Bill. Elle se confronte à son lourd passé, c’est un film de revanche. Il y a cet esprit vengeur, c’était dangereux de montrer quelqu’un qui était juste victime. Je pense qu’avec Eva adulte on a montré de quoi elle était capable, elle prend quand même l’initiative de retourner dans son village, malgré ce qu’elle a vécu étant enfant.
Dans un climat post #MeToo, on s’attend à une revanche féministe lorsqu’elle confronte ses bourreaux, mais est-ce véritablement ce qu’il se passe ?
Charlotte De Bruyne : Pour moi, en faisant irruption à la fête, Eva fait quelque chose de très intrusif, elle change totalement l’ambiance de la soirée. D’après moi, elle a humilié Tim et Laurens. Elle a jeté ses vêtements ensanglantés au visage des coupables, elle a pris la décision de prendre les armes pour les confronter à la réalité. Malgré la finalité, on souhaite que ça se passe autrement, on veut donner la parole aux victimes, mais ça ne se termine pas toujours comme on le penserait.
Veerle Baetens a dit : "Un mutisme extérieur cache souvent un esprit qui hurle à s’en briser la voix. C’est nous, les autres, qui ne l’entendons pas. Ou peut-être, qui ne faisons pas l’effort d’écouter ?" Cette citation évoque la décision prise par la mère de Laurens (Femke Heijens), dans une scène bien précise, qu’en pensez-vous ?
Charlotte De Bruyne : J’ai des frissons lorsqu’on parle de cette scène… qui est la plus forte et la plus triste pour moi. C’est à cet instant que la société décide de tourner le dos à Eva. Pour moi, ce moment signifie l’insuffisance de la société envers les victimes. La mère de Laurens est une métaphore, elle est la société à cet instant. Tu vois dans ses yeux qu’elle doit prendre la décision, choisir entre son fils et Eva (sa fille de cœur).
Rosa Marchant : Oui, cette scène est la plus terrible pour moi aussi. C’était également difficile de tourner cette scène, parce que c’est sans doute la plus fidèle au roman, il fallait ramener le livre à la vie. C’est une scène déchirante, on a pleuré toute la journée, c’était très intense.
Vous parliez de métaphore : Eva adulte traîne derrière elle un bloc de glace, signifiant le poids que le personnage porte sur ses épaules. Comment avez-vous joué avec cet objet ?
Charlotte De Bruyne : Ce glaçon disparaît à la fin du film. Il fond, il disparaît, je ne veux pas accepter que ce soit la solution. Cet objet symbolise une fin que je redoute, mais c’était aussi un accessoire magnifique. Cet objet est une œuvre d’art. Je me souviens de l’arrivée de ce bloc de glace géant, tout le monde était impressionné, c’était vraiment un objet magnifique.
Y-a-t-il eu un casting de ressemblance entre actrices pour jouer Eva ?
Rosa Marchant : Charlotte n’était pas encore sélectionnée, elle a commencé le casting avec les jeunes acteurs. C’est après avoir été choisie, qu’elle a pris quelqu’un qui me ressemblait. Elle avait un mood board, il n’était pas vraiment grand parce que Veerle avait déjà eu un coup de cœur pour Charlotte, vu notre ressemblance.
Charlotte De Bruyne : Veerle a d’abord trouvé Rosa pour le personnage de Eva enfant. C’était un défi pour Veerle de trouver quelqu’un qui ressemble à Rosa. Je n’ai pas vraiment passé de casting, mais plutôt une répétition, pour voir les différents accents, puisque je n’ai pas le même que Rosa. Veerle me disait avoir confiance. Je voulais toujours lui en montrer davantage, mais elle m’a dit : "Non c’est bon, tu as le rôle." Elle m’a choisie, elle a eu confiance en moi. Il y a un lien très fort entre nous deux. C’est incroyable quand un réalisateur a confiance en toi et te dit : "ça va marcher".
Débâcle est sorti le 28 février 2024 en salles.
Commentaires