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Du Népal à Naples, il n’y a qu’une lettre et un vol d’oiseau… L’arte della felicita  commence comme un graphic novel sur le Dalai Lama. Un bonze souriant écrit une lettre avant d’aller se suicider. Une colombe s’envole (vous la voyez la métaphore de la transsubstantiation ?), traverse le monde et atterrit dans une ville noyée sous une pluie diluvienne. Naples comme on ne l’a jamais vue. Dans une radio, un DJ souffle des paroles de sagesse, parle de Samsara et de réincarnation. Une petite voiture glisse sur une table en formica. C'est ça : what the fucking fuck ? Quelques instants plus tard, on découvre Sergio, chauffeur de taxi qui promène ses clients et son vague à l’âme depuis que son frère est parti au Tibet pour se faire moine (c’est lui le bonze du début). Parce que Sergio va mal. Et l’arte della felicita, c’est le chemin qu’il va suivre pour trouver un peu de bonheur, du réconfort et surtout un sens à sa vie depuis que son frangin l'a laissé tomber pour aller chanter des sutra à Katmandou. A coup de flashbacks (la relation contrariée entre Sergio et son frère), de rencontres dans le taxi (une vieille excentrique, une chanteuse, un responsable de décharge qui se mue en producteur d’art contemporain, un vieil oncle), de rêves aussi, on regarde les gens souffrir - de solitude, d’anxiété, de tristesse - mais aussi donner leurs conseils. Car ce bateau ivre de mélancolie est aussi une protection, une arche kaléidoscopique qui offre parfois des mantras apaisant le trauma de Sergio. A l’origine de L'Arte della felicita, on trouve le festival du même nom qui, sous la houlette de Lucianno Stella, propose des rencontres entre artistes et philosophes avec comme sujet principal la recherche du bonheur. Voulant documenter ces rencontres de manière inédite, Stella a d’abord cherché à en faire un documentaire animé avant de laisser libre cours à l’imagination débordante d’Alessandro Rak, artiste italien. Le résultat est à l’image de cette origine : bricolé, brouillon et bouillonnant, mélangeant les genres, les textures, les esthétiques et les sources d’influences (la pop 70’s et Miyazaki, l’art oriental et le thriller scorsesien, le christianisme et le bouddhisme) dans un magma coloré et vibrant. Triste et joyeux mais toujours profond (on pense à Bozzetto, la référence essentielle du film et l'un des rares animateur italien ayant eu une reconnaissance internationale), le ton du film et son étrangeté finissent par gagner le spectateur.    Une dernière chose : L’Arte della felicita est surtout un sublime portrait de Naples. Noyée sous l’eau, rongée par les ordures et la saleté, la ville devient un décor apocalyptique. Pourtant, pour le héros en crise, Naples est aussi un cicatrisant. La pluie est un baume qui réconforte Sergio. Ses ruelles sombres ne sont plus un dédale effrayant mais une matrice, le ventre d’une mère protectrice ; et les rencontres qu’on y fait ne sont plus flippantes. Au contraire elles font parfois progresser sur le chemin du bonheur. Edouard Sonderborg L'Arte della felicità était présenté en compétition à Annecy. Il n'a pas encore de date de sortie française.