Fincher raconte le scénariste Herman J. Mankiewicz et revisite la petite histoire du grand Citizen Kane. Le 4 décembre sur Netflix.
De deux choses l’une. Soit vous connaissez sur le bout des doigts votre Hollywood des années 30. Dans ce cas, vous allez plonger paisiblement dans le nouveau David Fincher, à l’aise comme un poisson dans l’eau. Soit les figures de Louis B. Mayer, Irving Thalberg, Marion Davies … et bien évidemment d’Herman J. Mankiewicz ne vous sont guère familières. Et dans ce cas, conseil d’ami, attachez vos ceintures. Car la présentation de ces différents personnages dans l’entame de Mank nécessite vraiment de rester attentif. On est chez Fincher, donc tout va vite. Très vite. Hors de question de freiner la marche de son récit dans un geste scolaire de fiche Wikipedia. Et, tout au long du film, le réalisateur ne va d’ailleurs jamais cesser de bombarder le spectateur d’informations, dans un jeu virevoltant qui peut, si on baisse un instant la garde, laisser à distance.
Mais le jeu en vaut la chandelle ! D’abord pour cette galerie de personnages bigger than life qu’aucun scénariste de fiction n’aurait osé imaginer par peur d’en faire trop. Puis quand on comprend où Fincher veut en venir à travers la figure centrale de son récit, Herman J. Mankiewicz, le moins connu des deux frères (par rapport à Joseph, le réalisateur d'Eve, La Comtesse aux pieds nus, Soudain l’été dernier ou Le Limier). Mankiewicz est d’abord notre porte d’entrée pour raconter les petits arrangements et grandes magouilles des pontes des studios de cette époque, fabricants de fake news à haute dose, comme lorsque les boss de la MGM aident le magnat de la presse William Randolph Hearst (le modèle de Citizen Kane) à faire exploser en plein vol la candidature d'un opposant politique comme gouverneur de Californie en fabriquant et diffusant une multitude de fausses bandes d’actualité. Celui qui observe ce drôle de manège avec un mélange de sidération et de dégoût. Mais aussi celui qui va trouver l’occasion de jouer les vengeurs tout sauf masqués quand il comprend que sa plume – jusque là surtout connue et reconnue via son travail génial pour les Marx Brothers – va pouvoir faire vaciller la figure de Hearst en développant le scénario de Citizen Kane qui va jouer avec différents éléments de sa vie
Mank, c’est donc le combat du pot de terre contre le pot de fer. Mais un combat flamboyant, livré le sourire aux lèvres y compris – et surtout ! – lorsque les menaces et les pressions se font de plus précises et étouffantes. Cette réhabilitation du job de scénariste par un cinéaste qui n'écrit pas ses films, cette mise à mal gourmande de la figure d’Orson Welles ne viennent pas de nulle part. Ce Mank, Fincher l’a rêvé et initié avec son père Jack, lui- même scénariste et auteur du script avant sa disparition en 2003. Mank se lit donc aussi sous l’angle de l’hommage d’un fils à son père et ses années de galère. Et ce geste apporte une émotion subtile à un film auquel certains reprocheront sans doute son côté corseté, quelque peu refermé sur lui- même
Car Mank est le film d’un obsessionnel, d’un fétichiste qui semble n’avoir filmé en digital que pour mieux retravailler l’image en post- production et lui donner à l’écran le cachet old school de ses fantasmes de cette époque, jusqu’à la sensation de pellicule légèrement brûlée. Ce petit jeu pourrait être excluant pour le spectateur, malgré le feu d’artifice de scènes époustouflantes, dont chacune à elle seule donne une bonne raison de découvrir ce film toutes affaires cessantes.
Sauf que Fincher a un autre atout majeur dans sa manche. Ce génie dans la direction d’acteurs. Gary Oldman donne corps dans tous les sens du terme à Herman Mankiewicz. Son œil malicieux, sa manière de se tenir comme s’il portait le poids du monde sur ses épaules, son regard qui soudain semble s’embuer mais sans jamais céder aux larmes, sa roublardise qui tente de masquer ses blessures intérieures apportent l’humanité enveloppante dont Mank semble parfois manquer. Et à ses côtés, Amanda Seyfried livre une des plus fortes compositions de sa carrière en Marion Davies, l’actrice qui fut pendant plus de 30 ans la maîtresse de Hearst et qui va jouer avec l’attirance et l’attachement que Mankiewicz éprouve pour elle pour essayer de lui tordre le bras en douceur. La subtilité de son interprétation rend le plus bel hommage à ce personnage, en en exposant toutes les facettes, de la vraie- fausse ravissante idiote à la fine manipulatrice. Ces deux-là, tout comme le film en lui- même, s’annoncent comme de redoutables candidats aux Oscars 2021, si la pandémie prête vie à la cérémonie. En attendant, la réussite de Mank se situe d’ailleurs. Dans l’envie, une fois le film terminé, de se replonger sans attendre dans Citizen Kane pour le savourer avec un autre regard…
De David Fincher. Durée 2h10. Disponible le 4 décembre sur Netflix
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