Nobody
Universal Pictures

Le réalisateur Ilya Naishuller nous raconte les coulisses de son thriller qui déménage.

Depuis Hardcore Henry, expérience filmique ultra-violente tournée en caméra subjective, le réalisateur russe Ilya Naishuller s’était écarté des plateaux de tournage pour revenir à la musique avec son groupe de rock indé, Biting Elbows. Fin 2021, le cinéaste a fait son come-back avec Nobody, un thriller d’action où Bob Odenkirk (Breaking Bad, Better Call Saul) casse des gueules à tour de bras. Nous repartageons cette rencontre à l'occasion de la première diffusion du film à la télévision, en crypté ce soir sur Canal +.

Hardcore Henry est sorti il y a déjà quatre ans. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour tourner votre deuxième film ? 
Ilya Naishuller : J’ai signé pour Nobody à l’été 2018. Donc il y a un trou de deux ans dans mon CV, durant lequel j’ai passé beaucoup de temps à écrire. J’ai terminé trois scripts dont je suis très fier, et j’espère pouvoir les tourner un jour. Disons que c’était une période de réflexion, j’avais besoin de comprendre ce que je voulais vraiment et être certain de faire le bon choix. On m’a fait des offres hein, des trucs très intéressants. Mais je ne voulais pas accepter aveuglément de tourner un film avec un plus gros budget, ou quelque chose qui ne me plaisait pas totalement. Vous savez, un film c’est deux ans de votre vie : il faut y croire tous les jours, sinon ça devient compliqué. Je ne suis pas en train de vous dire que c’est le boulot le plus dur au monde, mais il faut s’assurer d’aimer ça tout le temps de la production. L’idée de base de Nobody vient de Bob Odenkirk lui-même, et le script me plaisait beaucoup. Coup de chance, les producteurs étaient intrigués par mon envie de changer légèrement l’histoire pour me l’approprier. C’était une évidence : l’une des rares réunions où je me suis envolé pour Los Angeles avec la conviction qu’il fallait que je fasse le projet. J’aurais été dégoûté si on ne me l’avait pas donné (Rires.) Donc j’ai fait beaucoup d’efforts, j’ai vachement bossé. C’était le bon film, quoi.

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La grande surprise de Nobody, c’est Bob Odenkirk en star de film d’action. 
Ouais (Rires.)

Un acteur qu’on imaginait mal dans un rôle très physique. Ça vous amusait de jouer avec l’image que les gens ont de lui ?
C’est rigolo. Bob est connu pour Breaking Bad et Better Call Saul. Mais moi je sais qui il est depuis l’émission Mr. Show with Bob and David, que j’adorais. C’est un acteur qui a commencé en tant qu’humoriste. Et le truc avec les humoristes, c’est qu’ils ont toujours un côté sombre. C’est une matière passionnant à utiliser. Bob était prêt à s’entraîner durant six mois pour le rôle, et ensuite le tournage a été décalé pendant un an. Donc il avait un an et demi. Une fois qu’il a été clair qu’il refusait d’avoir une doublure pour les scènes d’action et qu’il voulait s’impliquer physiquement dans le rôle, je n’ai jamais douté que ça allait fonctionner. Je peut-être naïf, mais en lisant le script, j’ai tout de suite imaginé Bob en star de film d’action. Je crois qu’il s’est dit : « Ça y est, c’est ma chance de faire un film comme ça. Putain, il faut que ce soit bien ». Et comme c’était mon opportunité de faire mon premier film américain, il avait intérêt d’assurer !

Dans le trailer il y a une scène de bagarre dans un bus qui semble particulièrement physique…
C’est la première vraie scène d’action du film, on l’a tournée durant la deuxième semaine. C’était le moment critique : si la baston du bus marchait, alors le film allait être super ; si ça foirait, mais qu’est-ce qu’on foutait là ? Moi j’étais à fond, et en fait la seule personne nerveuse sur le plateau, c’était Bob. Parce que c’est bien gentil de s’entraîner pendant un an et demi - tu sais que tu es prêt - mais quand il s’agit de vraiment le faire devant toute l’équipe, au milieu de la nuit, alors qu’il fait un froid de canard ? Bob est monté dans le bus, a balancé son premier coup de poing et c’était parti. C’était génial. Je lui ai écrit un très court e-mail le soir même : « Bob, je ne sais pas si le film sera bon, mais je sais que tu es déjà une action star »


 

À en juger par la bande-annonce, Nobody semble être un film de vengeance. Est-ce que vous…
(Il nous coupe) Non, en fait ce n’est pas un film de vengeance. C’est intéressant parce qu’ils ont monté le trailer de façon à le faire penser. C’est un thriller d’action. Mon pitch aux producteurs était : « Imaginez que c’est un film sud-coréen, produit aux États-Unis et tourné par un réalisateur russe ». Et c’est exactement ce qu’on fait. Ma référence absolue, c’était A Bittersweet Life. Et j’ai montré Old Boy à Bob, qui n’avait pas vu beaucoup de film sud-coréens. Nobody n’a rien à voir fondamentalement, mais ça m’a permis de lui faire comprendre mon objectif d’expérience viscérale. L’action, je peux tourner ça tout en faisant une sieste. Avec la bonne équipe à mes côtés hein, s’ils sont mauvais je vais sûrement devoir bosser un peu plus (Rires.) Mais faire ressentir ce que vit le personnage, c’est l’élément central. Le gros avantage avec Bob, c’est qu’il suffit de le montrer à l’écran cinq secondes et tu as tout compris. Ça se joue à rien, un sourcil relevé, ses doigts qui bougent de façon incontrôlée… C’est le meilleur.

Ça a tout de suite marché entre lui et Christopher Lloyd ?
Immédiatement. Je vais vous raconter une petite histoire sur Christopher Lloyd : comme il a 84 ans, je voulais y aller doucement avec lui. Pour une scène d’action avec pas mal de flingues, je lui ai proposé d’en remplacer certains par des accessoires plus légers, parce que c’était quand même vachement lourd. Il m’a dit : « Ça, c’est pour ceux qui ne veulent pas faire le boulot. Tu vois ces films où les acteurs trimballent des cartons vides parce que c’est trop lourd pour eux ? Pas de ça avec moi ». (Rires.) C’est monsieur Lloyd, pas le genre d’acteur à qui tu fais passer une audition. Tu sais qu’il va être excellent. Il arrive sur le plateau avec une idée de jeu qui est évidemment meilleure que la tienne. Pour la première scène qu’il a tournée avec Bob, tout était bon dès la première prise. Je me suis demandé s’il ne fallait pas en faire une deuxième, au cas où. Mais non, c’était parfait. Tu t’inclines, c’est une légende.

Pour en revenir à Hardcore Henry, vous inventiez à l’époque un nouveau langage cinématographique, assez proche du jeu vidéo en VR, alors même que la réalité virtuelle n’était pas aussi démocratisée qu’aujourd’hui. 
C’était complètement dingue, parce que personne ne savait vraiment ce qu’on faisait ni ce que ça allait donner. Les producteurs ne comprenaient pas. Moi, j’avais une vision du truc, mais je ne savais pas vraiment ce que ça allait donner ! On déchiffrait ce qu’on faisait au jour le jour. C’est un truc purement expérimental, même si l’objectif était quand même d’en faire un film d’action vraiment fun.

Et vous avez gardé cette envie d’expérimenter avec Nobody ?
Oui, sauf que je ne me suis pas donné l’opportunité de jouer les chiens fous. J’imagine que comme pour tout réalisateur, le premier film imprime quelque chose en vous. Mais il fallait que Nobody soit beaucoup plus cadré que Hardcore Henry : je ne voulais pas me décevoir et encore moins décevoir Bob Odenkirk. Il aurait pu embaucher plein d’autres réalisateurs mais il m’a choisi moi. Je pense que j’étais parfait pour ce film parce que moi aussi je suis un nobody !

Nobody, avec Bob Odenkirk, Christopher Lloyd, Connie Nielsen… 

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