Michel Piccoli
ABACA

L'acteur de théâtre, de télévision mais surtout de cinéma révélé dans Le mépris de Jean-Luc Godard et popularisé par Claude Sautet est mort à 94 ans. Hommage.

Michel Piccoli est donc parti discrètement, tout doucement sans faire de bruit. Ses proches ont attendu une semaine avant d’officialiser son décès à l’âge de 94 ans. A l’heure où la communication impose un rythme effréné et ne se gave que d’immédiateté, il y a quelque chose d’élégant – presque de politique - dans ce geste peu synchrone avec l’époque. Si Piccoli pouvait sortir de ses gonds à l’écran (cf. la séquence du repas dominical face à Serge Reggiani dans Vincent, François, Paul et les autres de Claude Sautet qui devrait passer en boucle sur les réseaux sociaux), l’homme n’aimait pas trop les coups d’éclats ni la parade. Le « métier » le lui a plutôt bien rendu en ne lui décernant aucun César malgré ses quatre nominations. Mais là aussi, les lauriers auraient paru vulgaires. Il y a tout de même un Prix d’Interprétation masculine au Festival de Cannes en 1980 pour Le saut dans le vide de l’italien Marco Bellocchio. Piccoli c’est le prototype même de l’acteur hors mode, hors monde, refusant de jouer la « vedette ». Il n’a jamais été Belmondo ni Delon, Depardieu ou Dewaere. Pas plus Nouvelle Vague que qualité française,  plus intello que populo mais jamais snob… Toujours accessible. Et même si la filmographie en impose autant – voire - plus que certains, l’acteur né de parents musiciens, n’aura sûrement pas de monument à son nom. Tant pis, tant mieux. Monumental, Michel Piccoli l’était à sa manière.

Autorité et séduction

A chacun donc son Michel Piccoli. L’homme de télé et de théâtre bien-sûr mais aussi et surtout celui de cinéma avec une filmo qui aura arpenté les plus beaux sentiers de son temps (Renoir, Hitchcock, Ruiz, Rivette, Carax, Chabrol, Deville, Melville, Scola, de Oliveira...) Pour tous, il restera, ce bourgeois élégant et mélancolique des films de Claude Sautet qui à partir des Choses de la vie en 1970 en fera sa « muse » au même titre que Romy Schneider. Dans les Conversations avec Claude Sautet de Michel Boujut (Institut Lumière/ Actes Sud), le cinéaste explique : « Je l’avais rencontré sur quelques films pour lesquels j’avais travaillé. J’avais été frappé par le petit rôle qu’il interprétait dans le Doulos de Melville. Il avait une sorte de charme étrange qui camouflait une très grande circonspection. Il y avait chez lui quelque chose qui me semblait pouvoir être développé. » Et de fait le cinéaste va « travailler » son modèle auscultant toujours un peu plus sa gravité, allant chercher dans les mystères de son paraître la profondeur d’un tempérament, d’un caractère. Que dire par exemple de son jeu tout en autorité et en séduction dans Max et les ferrailleurs où il incarne un parfait salaud en y mettant toute l’humanité nécessaire ?

Tout sur Les choses de la vie

Engagement

Piccoli c’est aussi Luis Buñuel, six longs métrages ensemble dont Le journal d’une femme de chambre, Le charme discret de la bourgeoisie et bien-sûr Belle de jour. C’est d’ailleurs le cinéaste espagnol qui saura le mieux « jouer » avec un acteur volontiers facétieux et frondeur. Un acteur qui ne pouvait être que séduit par le ton iconoclaste du cinéma de Buñuel et ses saillies anticléricales (Piccoli joue un prêtre dans La mort en ce jardin) et anti-bourgeoises. Difficile d’imaginer aujourd’hui un comédien de cinéma de cette trempe-là afficher ainsi ouvertement - dans l’exercice de son art comme dans le privé- sa révolte et sa colère. Piccoli est contre les guerres (Vietnam, Algérie…), s’indigne de l’émergence des dictatures d’Amérique Latine avec l’aide de la CIA donc d’un Occident tout puissant, se revendique communiste. Ces prises de position sont de son propre aveu « vitales ». A l’écran, cela se traduit par cette volonté de partir loin de la terre trop ferme, là où les vents contraires l’auraient ramené vers des eaux plus calmes. Michel Piccoli se met donc à table avec Philippe Noiret, Marcelo Mastroianni, Ugo Tognazzi et Andréa Ferréol en 1973 pour La Grande Bouffe de Marco Ferreri. Ce film orgiaque où des hommes décident de suicider par la nourriture et la boisson reste à ce jour, l’une des plus belles farces contre la société de consommation qui allait bientôt dominer totalement l’espace commun. Dix ans plus tard il sera un présentateur de télévision sadique dans Le prix du danger d’Yves Boisset, film également visionnaire sur les dérives d’une télé à laquelle on n’avait pas encore associé la notion de réalité. L’un des films de sa filmographie qu’il préférait était Themroc de Claude Faraldo, curiosité sauvage, provocatrice et oubliée des seventies, où il incarnait un ouvrier qui poussait à la révolte tout un immeuble.

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B.B et le pape

Il y a aussi le Piccoli viril et séducteur. Face à Romy, on l’a dit dans Max et les ferrailleurs mais avant ça dans Le mépris de Jean-Luc Godard face au mythe B.B. Et même si le film inspiré d’un roman d’Alberto Moravia parle d’une longue rupture et que son personnage observe impuissant sa femme lui échapper, la classe avec laquelle il accueille la chose fait vibrer tout le cadre et effacerait presque Bardot de l’écran. Godard parlait de son protagoniste ainsi : « C’est un personnage de Marienbad qui veut jouer le rôle d’un personnage de Rio Bravo. »  Piccoli avait 38 ans au moment du Mépris. Trop tard donc pour incarner les jeunes premiers. Il restera à l’écran cet homme mûr et rassurant qui reste debout quand tout s’étiole autour de lui. L’un de ses derniers grands rôles au cinéma est dans Habemus Papam la comédie satirique de Nanni Moretti (2011) , où il incarnait rien de moins que le pape, mais un pape pas franchement emballé par sa fonction qui décidait de s’évader loin du tumulte du Vatican. Michel Piccoli était un peu comme ça. Immense mais refusant de prendre toute la place.


La télévision bouleverse ses programmes en hommage à Michel Piccoli