Leurs enfants après eux et L’Amour Ouf
StudioCanal/Warner Bros.

Le succès de l'un peut-il bénéficier à l'autre ? Gilles Lellouche joue dans ce film qui a plein de points communs avec sa dernière réalisation. Et pour cause : il devait au départ développer cette adaptation du Goncourt en série télé...

Alors que L’Amour Ouf de Gilles Lellouche, mélo adolescent et rutilant dans une France prolo eighties, a largement dépassé les 4 millions d’entrées, on peut légitimement se demander si Leurs enfants après eux de Zoran et Ludovic Boukherma, mélo adolescent et rutilant dans la France prolo des nineties, va profiter de ce formidable effet d’entrainement.

Cette adaptation du Prix Goncourt 2018 de Nicolas Mathieu (plus de 400 000 romans vendus) raconte sur plusieurs étés l’itinéraire croisé et brutal d’Anthony (Paul Kircher) et Hacine (Sayyid El Alami), deux fils d’anciens ouvriers d’usine, dans une vallée de l’Est de la France. Lellouche, à l’initiative du projet (qu'il comptait d'abord développer sous forme de série), se contente ici de jouer la comédie. D’où ce sentiment un peu étrange de dédoublement pour le réalisateur-acteur, comme il nous le disait en septembre dernier juste avant la sortie de son Amour Ouf :  

« Il y a deux jours, j’étais à Venise pour présenter le film des frères Boukherma, Leurs enfants après eux, dans lequel je joue aussi. Là, on est plus dans la schizophrénie, on est carrément dans le multivers. »


Leurs enfants après eux, une adaptation aseptisée du Goncourt

Le gris lumineux

De quel multivers parle-t-il ? Celui d’un territoire a priori peu soluble dans un cinéma français qui préfère filmer la ville lumière peuplée de « nepo-babies » plutôt que les vallées grisâtres de la France des ronds-points, celle de la crise, des gilets jaunes, du chômage, du vote Rassemblement National, avec en toile de fond les usines vidées de leurs ouvriers picolant des bières entre deux rendez-vous à Pôle emploi. C’est comme ça que depuis la « grande » ville on aime à se figurer les habitants de cette France qui en a logiquement marre d’être caricaturée.

Mais ici et là, l’ancrage spatio-temporel précis permet de fantasmer l’électricité supposée des années 80 et 90 en évitant de se coltiner les fractures d’un présent qui refusera toujours de prendre la pause. Dans L’Amour Ouf, Lellouche sous couvert de rendre hommage aux « sans-grades » pousse les potards au max usant de tous les effets de manche pour rendre le gris lumineux. Film pop avec bande-son ad hoc, héros romantiques, enfants indociles qui se foutent de la crise. Comme il y a le Nord de Dumont avec ses flics maladroits et ses sauvageons brutaux, il y a celui de Lellouche et ses néons flashy qui masquent la misère. Voici venu le Grand Est des frères Boukherma :   

 « L’idée ne vient pas de nous mais de Gilles Lellouche. Il nous a proposé, en 2022, d’adapter avec lui ce roman en vue d’une série, explique Ludovic Boukherma dans un entretien au CNC. Nous ne l’avions pas lu mais l’univers nous était familier. La France que dépeint Nicolas Mathieu évoque, en effet, celle dans laquelle nous avons grandi. Il y a de grandes similitudes entre l’Est des hauts fourneaux du roman et notre Sud-Ouest rural, à commencer par cette absence de perspectives que nous ressentions adolescents. Enfin, nous sommes issus du même milieu modeste que les personnages. »

Leurs enfants après eux est-il la face B de L’amour Ouf ?
StudioCanal/Warner Bros.

Mise en scène ample

Gilles Lellouche avait vu et aimé leur Teddy (2020), film de loup-garou campagnard et notamment leur façon de regarder les classes populaires « sans mépris ni angélisme », précise Zoran dans le même entretien. A la base, les frères ont été engagé pour écrire une série. Mais une fois Lellouche définitivement accaparé par son Amour Ouf, les frères ont proposé à leurs producteurs Hugo Selignac et Alain Attal (les mêmes que le film suscité de Lellouche), s’ils pouvaient plutôt réaliser un long-métrage.

Les frères pensaient, en effet, que le roman de Nicolas Mathieu, généreux dans son souffle romanesque, méritait le grand écran. D’où cette idée d’user d’une mise en scène ample pour fétichiser leurs personnages (filmés comme des divinités) et les paysages (les hauts fourneaux devenus des cathédrales). Ici et là, le « vrai » monde n’est plus qu’un décor.

« Nicolas Mathieu, par sa prose, parvenait à digresser et décrire précisément le caractère de ces classes sociales, ajoute Ludovic Boukherma toujours au CNC. À la lecture, c’est très beau. Visuellement, c’était impossible. Filmer ces hauts fourneaux à l’arrêt au milieu de la ville était suffisamment expressif… »

L’adolescence c’est bien connu dévore tout, à commencer par le terreau social qui les a vu naître. Dans Leurs enfants après eux, Gilles Lellouche joue le père largué du jeune héros, homme fatigué - mi-beauf, mi-brute - qui une fois grimé avec une prothèse (effet spécial assumé), deviendra ce monstre pathétique que la caméra ne voulait de toute façon pas voir.

L’Amour Ouf et Leurs enfants après eux, deux pistes, une même ambiance. Reste à savoir si la force du romanesque de l’un ne va pas recouvrir celle moins tapageuse de l’autre.  

Leurs enfants après eux. De Ludovic et Zoran Boukherma. Avec : Paul Kircher, Angelina Woreth, Sayyid El Alami…. Durée : 2h21.


L'Amour Ouf, une fresque romantique kamikaze