Une famille se prépare à un festival country, avec la totale : chapeau, santiags, bandants, bières, saucisses, guitares et square dance. Les premières minutes des Cowboys ressemblent à un film social-réaliste et auraient pu nous emmener dans une espèce d’épisode de Strip-tease sauce wild west belge. Déjà, nous sommes en fait dans l’Ain, et la scène d’ouverture des Cowboys s’étire de plus en plus longuement sans qu’il ne s’y passe grand-chose -à part Alian, le père fan de culture western (François Damiens) qui chante Tennessee Waltz. Et puis, sa femme réalise que leur fille ado Kelly a disparu. Alain part à sa recherche. A partir de ce point de départ extrêmement balisé (le film de disparition), Les Cowboys va prendre des dimensions immenses, rares. Le film commence en 1994 et s’achève vers 2005 : un long voyage de onze ans où l’on va suivre la quête d’Alain pour retrouver sa fille et qui nous entraîne avec une ambition littéraire (le métrage est chapitré par les noms des personnages) dans un labyrinthe de fausses pistes.
Le motif du cowboy n’est pas gratuit : il illustre une fine dialectique entre le sujet du film et la mythologie du western donc du cinéma, le film rappelant évidemment La Prisonnière du désert mais qui se déroulerait au tournant du 21ème siècle, autour de la radicalisation et du terrorisme. C’est le choc impulsif du film, très vite révélé : Les Cowboys s’attaque au sujet casse-gueule du terrorisme contemporain. C’est son genre. Mais le réalisateur Thomas Bidegain et son scénariste Noé Debré, aux CV glorieux forgés chez Jacques Audiard (Un prophète, De rouille et d’os) ne livrent pas un thriller classique ou vulgos où un provincial amateur de country se transformerait en vigilante ou en super-espion. Le film cultive l’ellipse, étudie la transmission, la paternité et c’est en creux son véritable sujet grâce au duo formé par le père (Damiens est fabuleux) et son fils surnommé Kid (clin d’oeil fordien, encore), vrai personnage principal et joué par le jeune (et incroyablement doué et dirigé) Finnegan Oldfield. Les Cowboys est mélancolique, mutique, flippant, un peu comme une variation française et étouffée de Zero Dark Thirty -autre quête terrifiante et impossible de dix ans- évidemment sans les Navy SEAL.
C’est d’autant plus brillant qu’on ne sait pas où l’on nous entraîne, à l’image des héros de l’histoire : Les Cowboys nous embarque dans des territoires angoissants et inquiets (au son de la BO remarquable de Raphaël, comme quoi tout arrive) et malgré ses jolis plans d’autoroutes belges nocturnes et de corps menaçants, il ne sacrifie jamais au look post-Carpenter (plutôt post-Refn, en fait) synthétique qui empoisonne tant de films de genre français, ni à la surécriture bordélique qui peut menacer un premier film de scénariste. C'est lent, c'est dense et exigeant mais ça colle facile une bastos dans le bide des polars rutilants Europa Corp auxquels on pensait être condamnés. En cela, même s'il a évidemment été conçu avant, Les Cowboys pourrait être un marqueur, devenir, malgré lui, le premier polar post-Charlie, un film de genre qui se saisit du réel et qui tente intelligemment de prendre en compte les bouleversements esthétiques et mentaux induits par une société qui a accouché de la tuerie du 7 janvier. Et à Cannes 2015, le film présenté à la Quinzaine des réalisateurs risque de dialoguer avec Dheepan d’Audiard (en compétition pour la Palme), et peut-être Fatima de Philippe Faucon (aussi à la Quinzaine), en attendant que Made in France de Nicolas Boukhrief trouve un distributeur.
Sylvestre Picard (@sylvestrepicard)
Les Cowboys sortira le 25 novembre prochain.
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