La cinéaste replonge dans ses années de formation sous la houlette de Patrice Chéreau dans les années 80 et signe un portrait vibrant de ce que constitue l'essence d'un comédien. Avec, dans son rôle, une Nadia Tereszkiewicz incandescente.
C’est à un Himalaya que s’attaque Valeria Bruni- Tedeschi avec son cinquième long métrage de fiction pour le grand écran. Raconter l’Ecole des Amandiers animée dans les années 80 par Patrice Chéreau au sein du théâtre du même nom dont il était aussi le directeur. Une école aussi riche en admirateurs qu’en pourfendeurs qui a profondément marqué l’histoire du théâtre français. Une école dont elle fut aussi et surtout l’une des élèves aux côtés notamment de Vincent Perez, Eva Ionesco, Agnès Jaoui, Marianne Denicourt et tant d’autres qui avaient foulé les marches cannoises en 1987 avec Hôtel de France, présenté à Un Certain Regard. Comment s’emparer d’un sujet aussi intime pour elle tout en l’inscrivant dans une époque (les années SIDA et l’hécatombe qu’elle va provoquer chez cette génération d’artistes) et en dressant le portrait des racines et du moteur de ce métier de comédien, tels que les pensait Chéreau ?
Valeria Bruni – Tedeschi relève ce triple défi avec superbe. Précisément parce qu’elle a gardé en elle ce qui constituait la matrice de cet enseignement : un engagement total, une intensité à fleur de peau qui peut autant fasciner qu’étouffer, une frontière plus que floue entre ce qu’on est, ce qu’on vit et ce qu’on joue. Le ton de son film épouse celui des répétitions et des spectacles de Chéreau de cette époque, rimant souvent avec une certaine violence et des pétages de plomb que la cinéaste ne met pas sous le tapis tout comme elle ne cache pas les jeux de séduction (et plus si affinités) entre profs et élèves ni comment la drogue circulait librement entre eux. Autant de scènes symboles de ce monde d’avant qu’on associerait plus aujourd’hui à la notion d’emprise et ses dérives. Bruni- Tedeschi ne repeint donc pas en rose, au nom d’une nostalgie reine, ces années tout sauf tièdes et aussi riches en spectacles sublimes qu’en cadavres de jeunes gens tombés au front de ces dérives.
Comme à son habitude, ce film parle d’elle, sans une once de complaisance, à travers la colonne vertébrale du récit inspirée par la propre histoire d’amour qu’elle a vécu avec un autre élève, dévoré par ses démons. Mais ce qui se révèle le plus passionnant dans ce puzzle foisonnant où l’on crie, on pleure, on s’embrasse, on se hait et on s’adore en poussant toujours les curseurs à fond, est sans contexte la réflexion sur la manière d’être comédien, de vivre ce métier décidément pas comme les autres, cette capacité à s’abandonner avec le risque de s’y perdre. Les Amandiers met des mots, des images et des scènes sur ce que tant caricaturent ou regardent avec un certain mépris, propageant cette idée des comédiens qui en feraient toujours trop, en représentation permanente. Valeria Bruni- Tedeschi creuse sous ce vernis- là, accompagnée par la caméra tour à tour enveloppante ou intrusive de Julien Poupard (le chef op’ de Party girl et des Misérables) qui saisit à merveille ce bouillonnement permanent et cette bande d’acteurs phénoménale que Valeria Bruni- Tedeschi a ici réunie. Des visages jusque là inconnus (Sofiane Bennacer…), des espoirs faisant mieux que confirmer les espoirs placés en eux (Sarah Henochsberg découverte dans C’est ça l’amour, Suzanne Lindon dans le rôle bouleversant d’une apprentie actrice recalée au concours d’entrée de l’école et qui vient y travailler comme serveuse pour se rapprocher du cœur du réacteur mais aussi quasiment mendier le droit d’y jouer…), des incarnations réussies des figures tutélaires du lieu (Louis Garrel en Patrice Chéreau, Micha Lescot en Pierre Roman, son alter ego) et puis un diamant brut. Celle qui joue la version revisitée de la Valeria des années 80. La saisissante Nadia Tereszkiewicz qui, après Tom et Babysitter, continue son irrésistible ascension dans le petit monde du cinéma français. La palette de sentiments sur laquelle elle évolue avec un naturel hallucinant semble n’avoir aucune limite. Sa capacité à jouer avec les autres non plus. Ses éclats de rires sont aussi renversants que ses crises de larmes ou ces explosions de rage. Chéreau l’aurait adorée !
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